La réglementation élaborée par l’OMI : Caractéristiques et particularités

Sécurité Maritime
Typography

Que l’on soit marin ou non, il n’est pas sans intérêt de comprendre comment se fait la prise de décision au sein de l’OMI, et de déterminer la nature de la réglementation qu’elle élabore. Le présent article est loin d’être à dessein diffamatoire  ou calomnieux ; il tente seulement d’éclaircir certaines zones d’ombre sur le fonctionnement de l’OMI.

 

Une réglementation « molle »

L’implication de l’OMI dans l’élaboration de la réglementation maritime est incontestablement manifeste. Toutefois, elle souffre de deux tares majeures : l’inadéquation des moyens de contrôle de l’application des règles et le manque de fermeté. En effet, la seconde partie de la convention traitant du fonctionnement de l’OMI, au travers de son article 2, vient circonscrire singulièrement ses fonctions : « L’Organisation a pour fonction d’examiner les questions sur lesquelles elle est consultée et d’émettre son avis ». L’article 3 (b) de la même convention vient préciser par ailleurs, que pour atteindre les buts énoncés à l’article 1, l’Organisation doit « élaborer des projets de Conventions, d’accords ou d’autres instruments appropriés, les recommander aux gouvernements et organisations intergouvernementales et convoquer les conférences qu’elle pourra juger nécessaires ».

L’incapacité de l’OMI à adopter elle-même des traités a conduit certains auteurs[1] à qualifier les normes qu’elle a adoptées de « droit mou » (soft law), car les recommandations, les résolutions de l’OMI et même certaines de ses conventions, laissent un pouvoir discrétionnaire aux États[2]. Ce sont en effet les lacunes des statuts de l’OMI qui ne lui confèrent aucun pouvoir pour contraindre les États à respecter leurs engagements[3]. En effet, «un État ne s’engage qu’au vu des textes auxquels il adhère et non pas par son appartenance à l’OMI. Cette dernière n’a donc théoriquement aucun moyen de vérifier l’application des Conventions par les États du pavillon »[4]. L’ancien Secrétaire Général de l’OMI, William O’Neil, a rappelé à l’occasion du naufrage de l’Erika que les fonctions de l’OMI se résumaient à édicter des textes internationaux dont l’application est du ressort des États les ayant ratifiés : « Nous mettons en place un régime à valeur internationale. Il appartient aux États qui acceptent ce régime de s’assurer qu’il est bien appliqué par les navires auxquels ils accordent une immatriculation. Ce système est délégué aux États du pavillon »[5].

 Une réglementation marquée par une prise de décision par consensus

Au sein de l’OMI, la prise de décision se fait par  consensus. Cette décision est prise par les membres d’un groupe, qui souvent, « exercent un rôle d’une façon discursive et délibérative. Ce processus est contraint par des objectifs et des stratégies spécifiques ainsi que des conflits d’intérêt »[6]. L’ancien Secrétaire Général de l’OMI, William O’Neil, a déclaré ouvertement que « la plupart des décisions sont prises par consensus de la communauté internationale des transports maritimes. Il est rare que nous ayons recours au vote »[7].

Une réglementation par désastre

Si les accidents maritimes sont des catalyseurs pour l’adoption de nouvelles réglementations, il est toutefois difficile de prendre des décisions majeures consécutivement à leur occurrence. Pour s’en convaincre, rappeler le chavirement du Herald of Free Enterprise en mars 1987, suffit à lui seul[8]. En effet, pour éviter la récurrence d’un pareil accident, le Royaume-Uni a amorcé en 1988 une batterie de mesures consistant notamment en l’adjonction de nouvelles règles dédiées à l’amélioration de la surveillance des portes et des espaces à cargaison ainsi qu’à l’éclairage de secours sur les navires rouliers à passagers[9]. Compte tenu de l’urgence de la question, le recours à la procédure d’acceptation tacite était inévitable pour accélérer l’entrée en vigueur des amendements dix-huit mois après leur adoption[10]. La catastrophe du Herald of Free Enterprise a déclenché d’autres amendements à la Convention SOLAS, notamment le calcul de la stabilité des navires rouliers à passagers après avaries, et l’obligation de maintenir les portes d’accès aux espaces à cargaison (garages et car-decks) fermées et verrouillées à la mer ainsi que la détermination du poids mort du navire. Cette réaction face aux accidents est tout à fait légitime eu égard aux pertes de vies humaines ou de préjudice à l’environnement. Mais ce qui inquiète, c’est que l’accident pourrait être le résultat indirect du dysfonctionnement de la prise de décision par consensus, et les nations puissantes ne vont pas manquer d’adopter des mesures (parfois unilatérales) en outrepassant l’aval international consécutivement à un accident maritime.

Tableau rappelant certains accidents maritimes et leurs incidences sur la réglementation maritime internationale

Désastre

Impact sur la réglementation

 

 

 

TITANIC, avril 1912, Newfoundland,

1502 morts et 705 survivants

1912 : Conférence internationale sur la communication

1914 : Conférence SOLAS

Convention SOLAS : 1ères règles internationales :

Sécurité maritime : Patrouille nord atlantique

Construction : Portes étanches à l’eau

Radiotélégraphie : Veille radio continue

Engins de sauvetage obligatoires

 

 

 

TORREY CANYON, 18 mars 1967,

Scilly Isles, 119.000 tonnes de pétrole

brut déversées

1967 : Création du comité juridique de l’ OMI

1969 : Convention Internationale sur la responsabilité

civile pour les dommages dus à la pollution par les

hydrocarbures (Convention CLC)

1969 : Convention Internationale sur l’intervention en

haute mer en cas d’accident entraînant ou pouvant

entraîner une pollution par les hydrocarbures 1971 : Convention Internationale portant création d’un

fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures

(FONDS 1971)

1973 : Convention MARPOL

 

 

 

 

HERALD OF FREE ENTERPRISE,

6 mars 1987, Zeebrugge, 193 pertes en

vie humaine

Août 1987 : Mesures britanniques pour l’amélioration

de la sécurité des navires rouliers

Novembre 1987 : 1ère Résolution de l’OMI sur la

gestion de la sécurité dans les compagnies maritimes

Avril 1988 : 1er paquet d’amendements de la

Convention SOLAS sur le monitoring

Octobre 1988 : 2ème paquet d’amendements de la

Convention SOLAS sur la stabilité après avarie

BRAER, 5 janvier 1993, Shetland,

Royaume-Uni

1995 : Directive sur le contrôle par l’État du port

 

 

ESTONIA, 28 septembre 1994, Mer

Baltique, 850 morts et 138 survivants

8 Août 1995 : Réglementations norvégiennes sur les

nouveaux standards de conception

Novembre 1995 : Conférence SOLAS

Nouvelle règle 8-1 Chapitre II-1 sur la stabilité des

navires rouliers à passagers existants après avarie

Février 1996 : Accord de Stockholm sur les critères de stabilité des transbordeurs opérant en Europe du Nord.

 

 

ERIKA, 12 décembre 1999, Golfe de

Gascogne, 10.000 tonnes de pétrole

brut déversées

Commission Européenne

Mars 2000 : 1er paquet Erika : pétrolier à simple coque, sociétés de classification, contrôle par l’État du

port

Décembre 2000 : 2ème Paquet Erika : Agence

Européenne de la sécurité maritime, système de

reporting, indemnisation

3ème Paquet Erika

 

 

 

Mohammed Rida ELMARIKY

Pilote au port de Tanger Med

Ph.D  



[1] KHODJET EL KHIL (L.), «La pollution de la Méditerranée du fait du transport maritime de marchandises», Thèse, éd.PUAM, 2003, p.24, citant DUPUIS (R.J.), « Droit décidatoire et droit programmatoire : De la coutume sauvage à la soft law », in « L’élaboration du droit international public », Paris, éd.Pédone, 1975, Actes du colloque de la Société Française de Droit International, p.132.

[2] BELLAYER-ROILLE (A.), « Le transport maritime et les politiques de sécurité de l’Union Européenne »,

Thèse, éd.Apogée, Paris, 2000, p.65.

[3] MATERA (CH.), « Le paquet Erika III », Mémoire de Master II en droit maritime et des transports, Faculté de

droit et de science politique d’Aix-Marseille III, Centre de Droit Maritime et des Transports, 2006, p.9.

[4] BOURLES (L.), « Nouvel enjeu de l’OMI : Application des normes », JMM, n°4073, 9 janvier 1998, p.4.

[5] Propos recueillis lors de l’interview réalisée par BAUMARD (L.), « William O’Neil ne peut pas et ne doit pas

tout dire », Le Marin, n°2744, 11 février 2000, p.45.

[6] Nouvelles de l’OMI, Bulletin de l’Organisation Maritime Internationale, n°3, 1995, p.XIV.

[7] PAUL (D) et LE DRIAN (J.Y.), Rapport dressé au nom de la Commission d’Enquête sur la sécurité du

transport maritime des produits dangereux ou polluants, n°2535, Assemblée Nationale, 2000,

[8] En dehors des critiques formulées à l’encontre de la réglementation de l’OMI au lendemain du naufrage du

Herald of Free Enterprise, des groupes de pression formés par les familles des victimes et des membres du

Parlement britannique ont revendiqué une modification de la loi pour rendre possibles les poursuites criminelles

contre une personne morale. Ces groupes ont dénoncé les sanctions prises à l’égard des deux officiers suspendus,

perçus comme des boucs émissaires. Les négligences de la compagnie Towsend Thoresen avaient été mises en

évidence par l’enquête.

[9] Convention SOLAS, Amendements de 1988, adoptés le 28 Avril 1988 et entrés en vigueur le 22 octobre 1989.

[10] Convention SOLAS, Amendements de 1988, adoptés le 28 octobre 1988 et entrés en vigueur le 29 avril 1990.