Le navire ENSM a laborieusement traversé une mer agitée lors de la session d’examens et de concours de ce printemps 2015, laissant apparaître de sérieux doutes sur le cap imposé, l’organisation et la qualité du management de l’école.
De nombreux dysfonctionnements sont apparus lors des différents jurys d’examens et de concours mettant en évidence de sérieuses lacunes tant au niveau des élèves, de la direction que du contrôle des enseignements dispensés.
Ceci n’est pas nouveau, mais cela prend des proportions inquiétantes au détriment des élèves actuellement engagés dans les différentes filières de formations maritimes et à terme aux compagnies de navigation, organismes professionnels, administrations, sociétés de services évoluant dans le shipping qui emploient les officiers et anciens officiers diplômés de l’ENSM.
Première année à Marseille
Pour la première année de regroupement des élèves de 1ére année de la filière académique sur le site de l’ENSM à Marseille, les résultats sont affligeants. Sur environ 150 élèves qui ont rejoint la Pointe Rouge en septembre 2014, les conseils de classe ont décidé 37 redoublements et 33 exclusions soit 46 % de la promotion. « Score » incroyable qui suscite bien des questions.
Est-ce la conséquence d’une dévalorisation généralisée du baccalauréat, d’un concours plus accessible en 2014, d’un corps professoral plus exigeant, d’une désorganisation généralisée des emplois du temps et des enseignements de première année démotivant les élèves, etc. Certainement un peu de tout cela. Les élèves, n’ayant pas le niveau, avaient été alertés à la fin du premier semestre par les professeurs.
Le plus étonnant est la gestion de ce « score » par la Direction de l’école, qui laisse songeur. Sous la pression, les exclusions se sont transformées en réorientations, car au détour d’une ligne du nouveau règlement intérieur de l’école, il n’y a pas d’exclusion à l’ENSM. Du temps des ENMM, particulièrement en première année, il n’était pas rare que les exclus représentent le concours en septembre pour réintégrer l’Hydro l’année suivante. Il y a même un élève de deuxième année de C1NM qui a suivi ce chemin, sans que cela nuise à sa carrière de navigant.
Derrière le mot réorientation se cache en fait une liberté de choix laissée aux élèves exclus : redoublement, basculement vers la filière monovalente ou plus simplement la démission. Quatre élèves ont bénéficié d’une décision complémentaire du jury, les autorisant à passer une session de rattrapage en anglais et règles de barre. Pour les autres pas de session de rattrapage.
DESMM au Havre et à Nantes
Même absence de rigueur et de cohérence pour le diplôme de sortie de l’ENSM. Les résultats du DESMM ont laissé clairement apparaître une différence de traitement des officiers-élèves entre les centres de Nantes et du Havre : un seul recalé à Nantes, sur démission, 30 % des élèves de 5éme année au Havre, soit une trentaine d’officiers-élèves. Pourquoi une telle différence, alors que le DESMM est un diplôme national attaché théoriquement aux compétences d’un même jury, avec les mêmes correcteurs. En prenant ses fonctions en 2012, Monsieur François Marendet, directeur général de l’ENSM, s’était étonné de l’absence d’unicité des enseignements, des pédagogies et du manque de communication entre les 4 centres de l’ENSM. Force est de constater que trois ans après, les sites restent dans une logique de concurrence sournoise, particulièrement quand ils abritent les mêmes formations. C’est finalement l’IGEM, qui après une réunion « d’harmonisation nationale des notes », a statué ramenant à 6 le nombre de recalés au centre d’examen du Havre pour le DESMM. Dans les faits, les notes éliminatoires ont été abrogées.
Quant au niveau général des DESMM, il est compréhensible que le corps professoral soit plus exigeant avec des officiers-élèves appelés à occuper rapidement des fonctions de second, chef et commandant, notamment en théorie du navire ou en manœuvre. Dans cette dernière matière, les correcteurs ont difficilement gratifié une copie d’un 2,75/20. Est-ce un manque de maturité, ou le reflet d’une baisse de niveau significative ?
Indirectement, abroger les notes éliminatoires dévalorise encore plus la valeur de l’ensemble des DESMM 2015.
La filière monovalente machine n’a pas bénéficié du même traitement. À Nantes, 5 élèves recalés en 2014 à l’examen de chef mécanicien illimité attendent toujours de connaître les dates d’une éventuelle nouvelle session de rattrapage, la première ayant été annulée sans explication par l’ENSM. Ces élèves, tous issus de la filière pro, sont retournés dans leurs armements respectifs, sans pouvoir accéder aux fonctions de chef mécanicien. L’une de ces compagnies, ayant financé la formation d’un de ses officiers au brevet de chef mécanicien illimité, attend toujours une réponse au courrier adressé au président de l’ENSM, Monsieur Moulinier. En l’absence de réponse, l’armateur a donné instruction à ses avocats d’engager une procédure devant le tribunal administratif pour jugement par tiers.
Concours d’entrée et admissions sur titre à l’ENSM
Sur les 340 candidats au concours de la filière académique, seul 116 ont été déclarés admissibles, pour finalement retenir après l’oral 91 lauréats et 12 inscrits sur la liste complémentaire. Cette première session de concours réformé a malheureusement été pénalisée par une communication incertaine et plusieurs changements de dates des épreuves écrites qui ont dérouté les lycéens tentés par l’aventure. Résultat : seulement 60 % des places offertes (150) ont été pourvues. Point positif de ce concours nouvelle formule : l’entretien avec le jury a montré la qualité et la motivation des candidats pour les carrières de la marine marchande. Seulement 22 admis sur titre (sur 30 places offertes) viendront compléter cette promotion à la rentrée de septembre, renforcée des 37 et plus redoublants de cette année, soit le quota de 150 élèves minimum. Les 12 de la liste complémentaire ont de ce fait peu de chance d’intégrer.
Cette année la Direction des Affaires Maritimes a confirmé le choix de deux dates séparées pour les concours de la filière A et de la filière monovalente. Résultat : les candidats les plus motivés pour intégrer ont présenté les deux concours. Sur les 60 reçus au concours OCQM 2015, 18 le sont également au concours de la filière académique. Les 9 inscrits sur la liste complémentaire sont assurés d’intégrer cette année.
On retrouve également le même doublon entre les admis sur titre de la filière académique et les premiers admis sur dossier à la formation OCQPI qui ouvre en septembre au Havre.
La publication des résultats des différents concours par l’ENSM reflète un manque de considération vis-à-vis des candidats admis ou sur liste complémentaire. Quand les admis à la formation OCQM ont bien été classés en fonction de leur rang, les 91 reçus au concours de la filière académique ont été classés par ordre alphabétique et non en fonction de leur rang. Pourquoi cette différence de traitement ? Un concours n’est pas un examen, pour preuve il a fallu descendre à 8/20 de moyenne aux écrits pour avoir 116 admissibles.
Félicitations à Floriane Gergaud, major du concours, à Charles Delaunay et Antoine Gorrichon qui complètent le podium.
Reflets de dysfonctionnements temporaires ou crise profonde ?
Ces trois exemples ci-dessus sont l’illustration de la désorganisation de l’enseignement maritime supérieur depuis la création de l’ENSM en lieu et place des ENMM, pour appliquer la réforme de la formation des officiers de la marine marchande conduisant au titre d’ingénieur, avec l’ouverture d’une filière paramaritime. Il est choquant d’entendre le Premier Ministre Manuel Valls, aux Assisses de la mer en décembre 2014 à Nantes, faire l’éloge de « l’excellence de l’enseignement maritime français au travers de l’ENSM » alors que cette dernière ressemble plus à un « radeau de la Méduse » à quatre coques. Tous les marins le savent, on n’a jamais conçu un « quadrimaran » capable de relever les défis de la mer, en dehors de l’imagination de quelques chercheurs (projet Tera4).
Le maintien du pavillon français parmi les pavillons d’excellences ne peut se faire que si l’enseignement maritime se recentre sur sa vocation première de former des navigants aptes a s’adapter aux nouvelles technologies, à la diversité des équipages multiculturels et au management international.
La réforme de l’enseignement maritime était nécessaire pour au minimum remettre au niveau des standards internationaux le contenu des enseignements et la délivrance des diplômes et brevets conformément à la convention STCW 95 signée par la France. Dès 2005, le rapport de l’Inspecteur général de l’enseignement maritime Dominique Laurent avait posé les bases d’une réforme de l’enseignement maritime globale et cohérente. Après avoir fait le constat que « L’enseignement maritime actuel n’a pas évolué et s’est marginalisé », il insistait sur « la profession a besoin d’un enseignement maritime supérieur moderne, réactif et du meilleur niveau, ouvert sur l’ensemble des métiers maritimes et à l’international, cultivant les partenariats avec son environnement pour créer des synergies performantes ». Son rapport proposait trois axes de recommandations pour l’enseignement maritime supérieur.
Dix ans après, seul le premier objectif de la redéfinition du statut des ENMM qui a abouti à la création de l’ENSM est réalisé, permettant une ouverture de l’école vers l’extérieur et le paramaritime. Les deux autres ont malheureusement sombré au hasard d’un certain clientélisme politique pour satisfaire l’influence locale d’élus totalement étrangers à la sphère maritime concernant l’éparpillement des sites, ou par manque de volontés et de concertations sur l’évolution des statuts des enseignants et la nécessité de diversification du corps enseignant pour répondre aux recommandations de la STCW 95. Dominique Laurent avait prévenu : « Un traitement au coup par coup des problèmes risque de compromettre l’avenir même de l’enseignement maritime supérieur français déjà soumis à la concurrence des pays voisins ».
Malheureusement, en 2015 les faits lui donnent raison.
Le redimensionnement de l’outil de formation a été abandonné sur une réponse expéditive du ministre des Transports Frédéric Cuvelier en juin 2012, à la question d’un journaliste. Cette décision non réfléchie est devenue un vrai « tabou » gravé dans le marbre, derrière laquelle se réfugie l’administration de tutelle. L’IGEM Dominique Laurent affirmait pourtant « la recommandation de réduire le nombre de sites d’enseignement et de concentrer la formation maritime, aujourd’hui dispersée, est un facteur important d’identité et de rayonnement de notre enseignement maritime, autant en France qu’à l’étranger ». Mais également la redynamisation du corps enseignant très largement démotivé. En effet « la dispersion des moyens est anti-économique et la dispersion des compétences est un obstacle à la création de pôles d’expertise ou de recherche ». Et d’ajouter : « cette dispersion entraîne en outre un véritable gaspillage de travail en contraignant les professeurs à entretenir leurs compétences sur un spectre de matières considérable, les empêchant ainsi de développer des compétences spécialisées ».
Quel cap pour corriger la dérive ?
L’ENSM a été créée par le décret du 28 septembre 2010. La première promotion bénéficiant de la formation d’ingénieur a intégré en septembre 2011. Les premiers diplômés devraient sortir à la fin 2016, après le rajout d’un semestre de cours afin de satisfaire aux recommandations de la STCW 95, suite à un rapport de l’EMSA en 2012 (Agence Européenne de Sécurité Maritime en charge de l’audit des formations maritimes au niveau des États).
Le projet ambitieux permettant la délivrance d’un double diplôme navigant-ingénieur est un bon compromis permettant une certaine visibilité dans la hiérarchisation des compétences à terre. Malheureusement pour répondre aux exigences strictes de la Commission des Titres d’Ingénieur (CTI), on a vidé le cursus de formation maritime de ses points forts, notamment l’expérience à la mer interscolaire qui valorise le DESMM, au profit d’enseignements plus académiques non adaptés aux réels besoins du milieu maritime. La formation ingénieur a pris le pas sur la formation maritime, comme le reflète la communication de l’école. L’agrément de la CTI ne s’étend que jusqu’à la rentrée 2015. Rien n’indique que l’accréditation soit prolongée et étendue à la formation paramaritime pour les prochaines années. D’autre part, le non-respect des qualifications exigées par la STCW pour les enseignants des matières maritimes, ainsi que des membres des jurys risquent de compromettre la reconnaissance de l’ensemble des brevets délivrés par la France au niveau de l’OMI. La difficulté rencontrée actuellement par l’ENSM pour recruter des enseignants ayant les compétences STCW, en raison notamment de rémunérations proposées inadaptées, montre que le problème est loin d’être résolu.
Est-il nécessaire de courir après le « Graal » du titre d’ingénieur pour tous, au détriment des fondamentaux maritimes, ou remettre à flot une formation maritime moderne et adaptée proposant à l’issue du DESMM de véritables passerelles vers des écoles d’ingénieurs ou de management partenaires pour ceux qui souhaite un double diplôme, véritable plus aujourd’hui. Cette solution permettrait de revenir aux objectifs initiaux, sans sacrifier les promotions d’élèves actuellement intégrées, en donnant toute la flexibilité nécessaire quant au choix et au déroulement des études tout en garantissant un bon niveau de compétence et d’expérience aux jeunes officiers navigants.
Il est légitime de se poser la question. Soyons pragmatiques. La mise en place de la réforme a été dès le départ lestée de nombreux handicaps rendant impossible l’application d’un projet d’établissement cohérent mais irréalisable en absence d’un leadership, de l’adhésion du corps professoral, d’une définition réelle des besoins et d’un cap clairement assumé. Après cinq années d’existence, le navire ENSM est toujours au milieu du « détroit », encalminé dans un bouchon de brouillard, ayant perdu de vue le dernier port d’escale sans distinguer pour autant la destination fixée. L’armateur n’a prévu qu’un budget contraint pour deux MP, mais pas pour les deux auxiliaires.
La désorganisation à tous les ponts, le manque d’entretien et de reconnaissance a démotivé l’encadrement et l’équipage. Quant à la cargaison, elle profite de la moindre occasion pour quitter le navire avec la drome de sauvetage vers des cieux plus cléments. Le capitaine, tel Edward John Smith, le capitaine expérimenté du Titanic, en toute confiance est persuadé que son navire suit le bon cap imposé par l’armateur, quelques soit les difficultés rencontrées. On connaît la fin de l’histoire. L’ENSM mérite un autre destin.
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