Loi 59-09 portant création de l’AMDL : Un texte frappé de lacunes d’ordre juridique

Logistique
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La logistique exercée dans des plates formes logistiques, constitue aujourd’hui une activité en  évolution progressive. Au Maroc, cette profession, qui, il y a presque 15 années passées, était encore embryonnaire, commence aujourd’hui, à s’imposer  sur l’échiquier économique national, d’une manière considérable.

Renforcer la compétitivité du Royaume sur la scène économique internationale est devenu une priorité pour le Maroc. Les pouvoirs publics ne ménagent aucun effort pour atteindre cet objectif: En 2010, une stratégie nationale a été adoptée pour améliorer la compétitivité logistique du pays en se donnant pour principaux objectifs d’abaisser à 15 % les coûts logistiques rapportés au PIB (contre 20 % en 2010), l’augmentation du PIB de 3 à 5 points, la mobilisation de 3300 hectares, la création de 70 plateformes logistiques, des investissements à hauteur de 63 milliards de dirhams et la formation de 61 600 personnes, constituent des chantiers, dont une grande partie est déjà réalisée ou en cours d’exécution.

Toutefois, les indicateurs de développement et de promotion ci-dessus, ne peuvent garantir, à eux seuls, une atmosphère de confiance chez les operateurs économiques, en l’absence de règles de droit spécifiques à l’activité de logistique. Celle-ci souffre d’un déficit juridique considérable : Inexistence de réglementation  pouvant déterminer, les conditions  d’accès au métier, les conditions de construction de plates formes logistiques ou les conditions d’exercice de l’activité logistique.

Le déficit juridique se manifeste également au niveau de l’aspect contractuel (relation commerciale entre prestataires de services logistiques et donneurs d’ordre). Le contrat de prestation de services logistique ne figure pas parmi les contras nommés prévus par les textes juridiques en vigueur.

Les pouvoirs publics, désirant remédier à ce déficit réglementaire,  se sont intéressés d’abord à l’aspect institutionnel, en procédant à la création de l’agence marocaine de développement de la logistique par la loi 59-09 (Dahir n° 1-11-85 du 29 rajeb 1432 / 2 juillet 2011 – B.O. n°59-62 du 21-07-2011). Il s’agit d’ « un établissement public doté de l’autonomie morale et financière, placé sous la tutelle de l’Etat » (art. premier de la loi 59-09). L’AMDL a pour mission, de « contribuer à la mise en œuvre de la stratégie du gouvernement pour le développement de la logistique et  la mise en œuvre de la politique gouvernementale en matière de promotion du secteur et des zones d’activités logistiques » (art. 3 de la loi 59-09).

Cependant, la lecture de ce texte, mérite un arrêt pour la mise en relief de certaines remarques négatives concernant une partie de ses dispositions. On peut citer dans ce sens, des aberrations d’ordre juridique au niveau des définitions, au niveau des prérogatives de l’AMDL et au niveau de la composition du conseil d’administration de cette dernière.

-Les définitions

-En matière de définitions, l’article 2 de la loi 59-09 définit l’opérateur logistique, comme « toute personne morale de droit public ou de droit privé, qui se livre à une « ou » plusieurs activités visées ci-dessus… ». Il s’agit des activités visées au paragraphe 1er de l’article 2 de la dite loi. Ce paragraphe  énumère ces activités en précisant que la logistique est définie comme, « l’ensemble des activités de transport, de conditionnement, de stockage, d’approvisionnement et de services connexes… ». L’utilisation dans le paragraphe 2 de l’article 2 de la loi 59/09, du mot « ou », laisse entendre, que celui qui exerce uniquement, l’une des activités mentionnées dans le paragraphe premier de l’article 2 de la loi 59-09, est considéré comme « opérateur logistique». 

Cette interprétation pose problème, notamment pour le contrat de transport de marchandises. Ce contrat est régit en droit interne par les dispositions du code de commerce (art. 443 et s.) et par les dispositions de l’arrêté du ministre de l’équipement et du transport n° 17-44-03 du 26 septembre 2003 relatif au contrat type de transport routier de marchandises  pour compte d’autrui. Cependant, le contrat de transport peut se trouver, en vertu des dispositions de la loi 59-09, régit en même temps par les dispositions de textes, autres que celles du code de commerce et du contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui, avec toutes les implications juridiques que peut engendrer une éventuelle reconversion de la nature juridique du contrat de logistique en contrat de transport. Ainsi, un transporteur peut réclamer avoir agi en tant qu’operateur logistique et non pas comme transporteur, dans l’objectif d’échapper au régime sévère de la responsabilité contractuelle du transporteur, qui instaure une responsabilité de plein droit, ne permettant pas de prévoir  dans le contrat, une exonération ou une limitation conventionnelles de responsabilité, contrairement à un contrat de logistique. Ceci étant, on risque de se trouver face à un operateur économique avec deux statuts différents. Cette ambigüité dans les dispositions de la loi 59-09, risque de créer une atmosphère de perturbation pour l’ensemble de la communauté des juristes et un manque de confiance chez les donneurs d’ordre.

A cet effet, une reformulation de la définition donnée par la loi 59-09, à l’operateur logistique, s’avère nécessaire et mérite d’être prise en considération d’une manière sérieuse et urgente, à fin d’éviter toute ambigüité à l’occasion de l’utilisation des textes

-Les prérogatives de l’AMDL

-En vertu des dispositions de la loi 59-09, l’AMDL jouit de prérogatives très élargies, parfois contradictoires et dont l’utilisation risque de porter atteinte à la concurrence loyale, principe consacré par les conventions internationales, par la constitution du Maroc et par les dispositions de la loi 06/99 relative à la concurrence et la liberté des prix. L’AMDL, est habilité à « rechercher et identifier l’assiette foncière pour le développement des zones d’activités logistiques » (art. 3 de la loi 59-09). En même temps, elle peut -à la demande de l’Etat, réaliser et  gérer par elle-même, des zones d’activités logistiques. La possibilité pour l’AMDL, de gérer des zones d’activités logistiques, fera d’elle un operateur logistique en plus de son rôle de régulateur. D’ailleurs, en vertu de l’article 2 de la loi 59-09, les personnes morales de droit public peuvent également exercer les activités logistiques. Toutefois, il ne va pas s’agir d’un operateur logistique comme les autres. Il sera par contre,  question d’un operateur  économique privilégié vis-à-vis des autres operateurs : un operateur  informé préalablement. Cette situation peut constituer une violation aux règles de droit régissant l’organisation des opérations d’appel d’offre relatives aux marchés publics. A noter que l’AMDL, ne peut, par la force de la loi, passer outre les procédures des marchés publics : Conformément au 3eme paragraphe de  l’article premier de la loi 59-09, « l’agence est également soumise au contrôle financier de l’Etat applicable aux établissement publics… ».

A cet effet, il devient légitime de s’interroger sur la compatibilité ou l’incompatibilité du rôle de régulateur dédié à l’AMDL, avec le statut d’operateur logistique que lui confère la loi 59-09?

-Le Conseil d’administration

En vertu de l’article 7 de la loi 59-09, l’agence marocaine de développement de la logistique est administrée par un conseil d’administration. Cette structure  est composée des membres suivants :

-Des représentants de l’Etat,

-Le directeur général de l’agence nationale des ports ou son représentant,

- Le président de la fédération des chambres de commerce, d’industrie et de services ou l’un des vices présidents,

-Le président et trois représentants de l’association professionnelle la plus représentative des entreprises du Maroc,

-Trois personnalités désignées par le premier ministre  (chef du gouvernement, conformément aux dispositions de la nouvelle constitution de 2011), pour une période renouvelable une seule fois, compte tenu de leur compétence dans le domaine de la logistique.

La  lecture de l’article 8 de la loi 59-09, donne l’impression, que ce texte prévoit d’une manière implicite, la représentation des professionnels de la logistique dans le conseil d’administration de l’AMDL. En  effet, conformément à l’article ci-dessus visé,  siégera au sein de cette structure, les représentants de deux organisations professionnelles économiques citées par l’article 8, à savoir : La chambre de commerce et des services d’une part, et la CGEM d’autre part.

Toutefois, cette déduction s’avère erronée. Le dernier paragraphe de l’article 8 de la loi 59-09, dispose d’une manière expresse et déterminante, que « la qualité de membre de conseil d’administration est incompatible avec la qualité d’operateur logistique »

Certains peuvent avancer que le texte permet la représentativité, au siège du conseil d’administration de l’AMDL,  de professionnels de la logistique : L’article 8 prévoit la possibilité de siéger au sein du conseil d’administration, pour trois personnalités désignées par le chef de gouvernement, compte tenu de leur compétence dans le domaine de la logistique. Cela ne sera pas possible s’il y a volonté de respecter strictement, les dispositions de la loi 59-09. Etant donné que les dispositions de l’article 8 interdisent aux professionnels de la logistique de siéger dans le conseil d’administration de l’AMDL, il serait légitime de s’interroger sur la nature de la compétence dont disposera une personnalité dans le domaine de la logistique, sans qu’il soit opérateur logistique ? Est-ce que le texte vise les académistes? Si c’est le cas, il serait étonnant qu’un universitaire par exemple, puisse  combler ce vide, sans qu’il  dispose d’une expérience pratique  réelle : Il ne faut pas négliger que la logistique est une activité complexe et compliquée.

Une autre remarque est à souligner au sujet de la composition du conseil d’administration. L’article 8 de la loi 59-09 prévoit la représentativité de l’Agence nationale des ports au sein dudit conseil. Cette institution  dont le rôle de régulateur  de l’exercice des activités portuaires qui lui dédié par la force de la loi (loi 15-02 relative à la réforme portuaire) est incontestable, peut avoir également la qualité d’opérateur logistique. D’ailleurs, l’amendement de la loi 15-02, par la loi n° 20-10 du 17 août 2011, comportant un article unique, permet à l’ANP de détenir plus de 51%  du capital d’une société exerçant une activité portuaire. L’exercice de l’activité portuaire englobe aussi des activités logistiques, comme le magasinage ainsi que des activités connexes à la logistique comme la manutention. Ceci étant, le fait pour  l’agence nationale des ports, de siéger au sein du conseil d’administration de l’AMDL, en tant qu’opérateur logistique, sera tout à fait contradictoire avec les dispositions de la loi 59-09, notamment le dernier paragraphe de son article 8 qui stipule que la qualité de membre de conseil d’administration de l’AMDL est incompatible avec la qualité d’operateur logistique.

L’obligation du respect des dispositions légales prévues par la loi 59/09, implique l’impossibilité pour l’ANP d’être représentée au sein du conseil d’administration de l’AMDL. Dans ce cas, Il serait regrettable que l’ANP -avec tout son vécu dans la gestion des infrastructures portuaires- soit écartée de la liste des membres du conseil d’administration de l’AMDL, à cause de l’obstacle d’interdiction imposé par le dernier paragraphe de l’article 8 de la loi 59-09. Cela vaut également pour les professionnels de la logistique.

Najib Ben haddou

"Enseignant universitaire, chercheur en Droit de transport et de la logistique"

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