Les vrais raisons derrière le limogeage du Directeur de la Marine Marchande

Marine Marchande
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Si son limogeage était attendu et même réclamé depuis longtemps par les professionnels et même les fonctionnaires de sa direction qui étaient en grève ouverte depuis plus de deux mois, la décision de démettre officiellement le directeur de la marine marchande de ses fonctions, si elle a soulagé plus d’un, elle a également contrarié quelques autres.

Nommé à la surprise générale en janvier 2015, comme directeur de la marine marchande, nous avions titré à l’époque déjà Nouveau Directeur de la Marine Marchande, le navire coule définitivement tellement son profil était loin du minimum nécessaire pour venir au secours d’un secteur qui prenait l’eau de toute part.

Ingénieur naval formé en Espagne, celui-ci avait fait toute sa carrière dans ce pays dont il détient la nationalité. Son expérience professionnelle, se limite au poste d’inspecteur au sein des sociétés de classification chargé du contrôle et de l’audit des compagnies maritimes espagnoles ou de leurs navires.     

Quelques temps après sa nomination, ses premières décisions n’allaient préfigurer rien de bon, à commencer par la réorganisation interne des services de la direction qu’il allait opérer pour vider l’administration de ses compétences.

Ainsi, il commence par la division de la navigation et de la sécurité maritime, celle-ci a une relation directe avec les prérogatives de contrôle par l’Etat du port et l’Etat du pavillon du Maroc. Elle veille au respect des lois nationales et internationales en matière de transport maritime.

 Cette division, est le vivier des cadres d’élites de la DMM, de sa part ses missions et la qualité de ses ressources humaines, elle bénéficie d’une grande autonomie de décision, tous les Directeurs de la Marine Marchande qui se sont succédés ont loué la qualité du travail de cette division qui jouit d’une reconnaissance au niveau international, plusieurs de ses cadres sont des auditeurs de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) ce qui a permis au pavillon Marocain d’ailleurs de garder une bonne place dans la liste Paris MOU pendant de longues années.

Le Directeur de la Marine Marchande commence d’abord par démettre de ses fonctions le chef de service de la sécurité maritime au sein de la division, un profil d’inspecteur de la navigation unique en son genre, qu’il faut au moins 20 ans pour former.

Ensuite, il s’attaque aux chefs des quartiers maritimes, ils représentent la direction de la marine marchande au niveau des différents ports du Royaume, en quelques mois, il met fin aux fonctions de  trois chefs de quartiers maritimes d’une grande expérience et cela sans les remplacer par des profils équivalents.

Pour clore la boucle, le directeur de la marine marchande, démet de ses fonctions le chef de la division navigation lui-même, un pur produit de l’administration maritime marocaine, avec plus de 30 ans de service, lauréat de l’Ecole des Administrateurs en affaires maritimes de Bordeaux et Titulaire d’un Master en sécurité maritime de l’Université Maritime Internationale de l’OMI à Malmö en Suède. Alors que la Turquie vient de nommer un profil similaire au poste de Premier Ministre, le Directeur de la Marine Marchande lui, le classe au placard.

Résultat de l’ensemble de cette opération, la commission de sécurité maritime de la direction de la marine marchande, qui est le plus haut organe chargé de veiller au respect de la réglementation maritime nationale et internationale à bord des navires marocains et dans les différents ports du Royaume, se retrouve sans moyens humains pour effectuer ses missions.

Cette commission est composée essentiellement du chef de la division de la navigation, du chef de service de la sécurité maritime, d’un chef de quartier maritime et d’un inspecteur de la navigation.

Constatant, après avoir mis tout le monde dehors, qu’il ne dispose plus des ressources humaines suffisantes au sein de sa direction pour assurer la mission régalienne de veiller à la sécurité maritime du Royaume, le Directeur de la Marine Marchande entérine sa fameuse décision de déléguer l’ensemble des prérogatives en matière de délivrance des certificats statutaires et de sécurité maritime aux sociétés de classifications.   

A ce jour, le cadre légal qui régit la décision de délégation par la marine marchande de ses prérogatives régaliennes aux sociétés de classification reste inconnu, la décision elle-même, n’a été ni publiée au Bulletin Officiel ni a fait l’objet d’une communication officielle par affichage par exemple. Son contenu qui est resté confidentiel, risque selon certaines indiscrétions des milieux professionnels de réserver quelques mauvaises surprises au Maroc.

En tout cas, pour les quelques armateurs marocains qui survivent encore, le résultat de cette décision du directeur de la marine marchande a été immédiat, un armateur marocain qui a effectué la visite annuelle pour son navire par sa société de classification a été choqué de constater que cette formalité qui ne lui coutait avant que moins de 10.000 DHS lorsqu’elle était effectuée par des cadres de la marine marchande, allait lui revenir à plus 100.000 DHS qu’il devait régler à la société de classification.

Mais, le massacre de la dernière Institution Maritime du Royaume par son directeur n’allait pas s’arrêter là, après l’avoir dépourvu de ses compétences, le directeur de la marine marchande dresse une liste de 30 cadres et agents sur la soixantaine que compte la direction pour s’en séparer.

 Ainsi, des profils d’administrateurs en affaires maritimes, d’inspecteurs de la navigation, d’ingénieurs navals  allaient être mis à la disposition des autres administrations du Ministère de l’Equipement comme la direction des routes, de l’aviation civile, du transport routier ect…

L’ensemble des cadres et agents de la direction de la marine marchande se sentent alors menacés dans leur avenir professionnel, alors qu’ils s’attendaient à un renouveau de leur direction, celle-ci est dépecée petit à petit. Un climat délétère règne au sein de la direction, surtout que le directeur a mis en place son propre clan avec ses protégés.

La grande majorité des cadres et agents de la DMM deviennent alors démotivés, surtout que l’incompétence administrative du nouveau directeur est de plus en plus criante et que ce dernier s’absente régulièrement de la direction, il n’était présent qu’un ou deux jours par semaine à Casablanca, le reste du temps il était à Rabat où il habite ou dans le Nord et au-delà.

Mais la décision fatale, qui allait asséner un coup de massue à tout le monde, était celle du transfert du siège de la direction de la marine marchande de Casablanca à Rabat.

Alors, que celle-ci était domiciliée depuis l’indépendance en 1956 à Casablanca et que jamais un gouvernement auparavant n’avait osé prendre une telle décision vu que les principaux centres de pouvoirs maritimes et portuaires (ANP, MARSA MAROC, EX COMANAV) sont situés dans cette ville, le directeur de la marine marchande dans un acte lourd de conséquence entreprend début mai dernier, le déménagement effectif de la direction vers Rabat.

En réaction à cette énième décision du directeur qui ruine irréversiblement l’administration maritime nationale, l’ensemble des fonctionnaires de la direction rentrent en grève ouverte, appuyés par les professionnels et les gens de mer qui dénoncent haut et fort ce gâchis que vit le secteur alors qu’il est moribond.   

Le directeur persiste et signe et ne recule pas sur sa décision, il s’installe avec une dizaine de cadres de la direction dans de nouveaux locaux à Rabat et laisse la grande majorité du personnel de la direction à Casablanca en chômage technique pendant deux mois.

Mais, le jour ou une décision de haut lieu ordonne, que le premier navire de la nouvelle compagnie maritime nationale AML, soit immatriculé sous pavillon marocain et que le directeur renvoi le dossier vers la société de classification Bureau Veritas (BV) à laquelle il a délégué ses prérogatives, et que celle-ci exige plus d’un mois pour réaliser cette opération car elle ne reconnait pas les certificats de sécurité maritime délivrés par l’autorité maritime grecque au navire DIAGORAS, alors le pavillon grecque est classé dans la liste blanche de PARIS MOU à la 14éme position, mais pour justifier ses honoraires en centaines de millions le BV doit refaire l’intégralité du contrôle du navire, les décideurs marocains comprennent alors l’étendue des dégâts causés par les décisions du directeur de la marine marchande, qui a tout simplement privatisé des prérogatives régaliennes de l’Etat Marocain qui est devenu à la merci des intérêts des sociétés étrangères comme au temps du protectorat.   

Cette goutte et bien d’autres que nous n’aurons pas le temps d’étaler dans cet article auront fait débordé le vase d’une coupe qui était déjà pleine.

Nous reviendrons dans nos prochains articles sur comment le directeur de la marine marchande a bloqué la nouvelle stratégie pour le développement du secteur du transport maritime national et du pavillon marocain.