Les mots ont leurs poids. «Une concurrence sévère», tels sont les charges qui pèsent contre le secteur de la grande distribution.
Le Conseil de la concurrence a été saisi à Rabat par l’Union générale des entreprises et professions (UGEP). Son président, Moncef Kettani, se dit «surpris» de constater que le Conseil répond à sa demande.
Son syndicat, fondé en 1957 par le leader de l’Istiqlal, Allal el Fassi, s’est apparemment «accoutumé» à voir les multiples requêtes adressées aux administrations jetées aux oubliettes. Ce cas d’espèce exige un éclairage. L’article 15 de la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence accorde un droit de saisine aux organisations syndicales et professionnelles notamment. Ce sont les antennes régionales de l’UGEP, à Fès et à Casablanca, qui ont réclamé à l’origine la saisine du Conseil de la concurrence. Le dossier suit donc son chemin.
Cette affaire est en cours d’instruction depuis mars 2011. Elle coïncide par ailleurs avec une étude sur la «concurrentiabilité de la grande distribution» lancée bien avant la saisine. Commanditée par le Conseil de la concurrence, ses conclusions ont été publiquement présentées le 5 juillet à Rabat. D’ailleurs, l’Association marocaine du commerce moderne avait formulé des observations sur l’étude réalisée par le cabinet Messnaoui Mazars. Et où Bim, l’enseigne turque, a été présentée notamment comme un concurrent direct des petits commerçants.
C’est dire à quel point le dossier est chaud. Politiquement d’abord. Le plan Rawaj dédié au commerce de proximité a déçu. Il a été lancé en 2007 par le gouvernement El Fassi. L’UGEP, qui revendique 40.000 adhérents composés de très petites entreprises et artisans-commerçants, estime que les 900 millions de DH (enveloppe budgétaire du plan Rawaj) ne devraient pas êtres distribués à tout va. Il serait préférable, selon le syndicat, qu’ils servent de fonds de roulement avec des garanties et une flexibilité dans l’octroi des prêts. Sinon, l’Etat sera amené à chercher des fonds après épuisement de l’enveloppe budgétaire. D’autant plus que le plan Rawaj 2020 a encore neuf ans et demi à tirer.
Autre point embarrassant dans ce dossier, le volet juridique et social . L’Union générale des entreprises et professions assure «qu’aucun Marocain ne peut être contre la grande distribution».
Puisque son président lui-même affirme sans complexe «faire ses emplettes dans les grandes surfaces». Mais s’interroge sur le sort des ménages à très faible revenu: «ils s’approvisionnent au jour le jour. L’épicier leur fait crédit et joue ainsi un rôle de banquier. C’est ce système basé sur une cohésion sociale qu’il faut préserver», estime Kettani. Ces inquiétudes sont légitimes pour un syndicat revendiquant «l’égalitarisme social et économique» si cher au fondateur de l’Istiqlal dont l’un des descendants n’est autre que Abbas El Fassi, actuel Premier ministre et autorité de tutelle du Conseil de la concurrence. Mais pas pour longtemps puisque la refonte de la loi 06-99 est en cours et des élections anticipées sont prévues pour début octobre.
Par ailleurs, un benchmark de l’étude relève que dans beaucoup de pays, l’implantation des grandes surfaces se fait en périphérie urbaine. Mesure qui vise à éviter la capture des réseaux de distribution. Ce constat figure d’ailleurs dans la requête du syndicat. Son coordinateur régional à Casablanca, Mohamed Dahbi, rapporte que «ce sont les points de vente à proximité des grandes surfaces qui disparaissent dans 70% des cas. Sinon les petits commerces changent d’activité».
Il cite le cas du quartier populaire casablancais de Drissia (arrondissement Derb Sultan) où s’est installée l’enseigne de Marjane ou encore d’Acima à Sidi Othman. Mais il serait erroné «de dire que les commerces de Derb Sultan en entier pâtissent de la concurrence déloyale des grandes surfaces». Ce sont ceux qui leur sont avoisinants qui en souffrent surtout. Les promotions ont à ce titre «un effet ravageur».
"article paru dans l'economiste du 5/8/2011"
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