Dans tout contrat de transport, le déplacement en constitue l’élément essentiel. Il est par excellence, le critère principal à travers lequel, le contrat de transport, se distingue d’autres contrats voisins.
Toutefois, il se trouve que le transporteur reçoive parfois, de la part du donneur d’ordre, des instructions relatives au déplacement. Il peut s’agir par exemple d’instructions lui imposant le changement de destination. Dans d’autres cas, le transporteur peut se trouver dans des situations plus difficiles, notamment, lorsqu’il s’agit de transfert de la propriété des marchandises transportées, réclamé par des créanciers de l’ayant droit à la marchandise.
A travers cet article, sera analysé en premier lieu, le cas de l’entrave au déplacement, matérialisé par les instructions données par l’expéditeur, demandant au transporteur, le changement de destination. Par ailleurs, l’entrave au déplacement, impliquée par le transfert de propriété, fera l’objet du prochain article.
Les changements à la destination primitive de la marchandise
La destination de la marchandise est déterminée par le donneur d’ordre, en vertu du contrat de transport. On s’interrogera donc sur la légitimité des nouvelles instructions relatives au changement de la destination (1), ainsi que sur leurs conséquences (2)
1 -La légitimité des instructions de changement de destination
La légitimité des instructions nouvelles, données au transporteur n’a jamais, dans son principe même, été mise en doute que par la doctrine. Elle a fait observer que cette légitimité n’allait pas de soi et que si personne n’en pouvait contester l’utilité, il fallait encore justifier le mécanisme juridique par lequel le transporteur était tenu de déférer, aux instructions nouvelles qu’il pouvait recevoir en cours de route. Un contrat a été conclu entre deux parties ; il se trouve modifié par la volonté unilatérale de l’expéditeur ; comment cette volonté (unilatérale) peut-elle modifier ce qu’avait édifié le « mutuus consensus » des deux contractants ?
La théorie qui contribuait au contrat de transport le caractère d’un mandat, y répondait par le principe que le mandant définit les instructions du mandataire et que celui-ci ne peut agir que dans la mesure des pouvoirs qu’il a reçus. C’est ce que prévoit d’ailleurs l’article 879 du code des obligations et contrats qui définit le mandat comme un « contrat par lequel une personne charge une autre d'accomplir un acte licite pour le compte du commettant. Mais cette théorie du « transport-mandat » n’est pas défendable. Si elle pouvait, à la rigueur jouer envers le commissionnaire de transport, elle n’expliquerait pas pourquoi les transporteurs eux-mêmes doivent obéir. Il faut légitimer cette faculté de modification unilatérale par l’idée générale que les contrats de louage de service, dont le contrat de transport est une variété, laissent le maitre- sauf indemnité ou réajustement pécuniaire du contrat, et sauf possibilité matérielle pour l’entrepreneur de réaliser la volonté du maitre- libre de modifier ses instructions primitives et même d’arrêter l’opération entreprise, à quelque degré d’avancement qu’elle soit parvenue. Le bon sens indique pourquoi : la chose qui est entre les mains de l’entrepreneur, qu’il la répare, la transforme, la déplace… ne s’y trouve pas dans l’intérêt de l’entrepreneur, même s’il y trouve son profit. Il est indifférent au réparateur, transporteur… que la chose soit réparée ou déplacée pour X ou pour Y…, comme il est indifférent au transporteur, pourvu qu’il desserve la localité nouvelle, de la conduire au point A plutôt qu’au point B…Il faut seulement lui réserver la faculté de refuser le nouveau travail qui lui est demandé.
De point de vue des textes, le code de commerce permet cette prérogative de modification du contrat à l’expéditeur. En vertu de l’article 452 du Code de commerce marocain, « L'expéditeur a le droit d'arrêter le transport et de se faire restituer les choses transportées, ou bien de prescrire la remise à un destinataire différent de celui indiqué dans le titre de transport ou d'en disposer autrement… ». Egalement, le contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui dans son article 4, prévoit pour le donneur d’ordre de disposer de la marchandise jusqu’au moment où le destinataire fait valoir ses droits. Il exige toutefois -comme il est précisé par le code de commerce- de l’expéditeur, que toute nouvelle instruction de sa part ayant pour objet la modification des conditions d'exécution initiales du transport, doit être donnée ou confirmée, immédiatement, par écrit ou par tout autre procédé en permettant la mémorisation.
Ceci posé, le bénéficiaire du contrat de transport peut demander que la marchandise soit livrée à un tel plutôt qu’au destinataire primitivement indiqué, qu’elle soit envoyée en un autre lieu ou qu’elle lui fasse retour. Même si elle ne lui appartient pas, il en est le maitre au regard de l’entrepreneur.
La faculté de modification unilatérale comporte certaines restrictions, à savoir :
-La première est d’ordre juridique : si le transporteur est dans tous les cas obligé d’arrêter l’exécution du contrat, Il peut toutefois, refuser de se rendre au nouveau lieu de destination. Il obtiendra dans ce cas l’indemnisation à laquelle la résiliation du contrat lui donnera droit, compte tenu de ce que cette résiliation n’est pas son fait, mais celui de l’expéditeur. (Art. 452 Code du commerce.)
-La seconde restriction est de fait : à l’impossible nul n’est tenu. Si le transporteur ne peut pas modifier l’exécution, sa désobéissance sera justifiée. Tel serait le cas si la marchandise avait été déjà livrée ou qu’elle fut arrivée à destination dans des conditions telles que le transporteur ne peut plus aller la reprendre.
-Le troisième est d’ordre pécuniaire : l’expéditeur devra supporter tous les frais de la modification apportée au contrat primitif. L’article 453 du Code de commerce dispose que « le transporteur a droit à un supplément proportionnel de prix et au remboursement du surplus de ses frais et avances, si la distance à parcourir ou le temps du trajet a été augmenté par les contre-ordres ou les instructions nouvelles de l'expéditeur ou du destinataire ». Les mêmes règles sont prévues par les dispositions du contrat type de transport routier de marchandises pour compte d’autrui. Le paragraphe 3 de l’article 4 dudit contrat type, stipule que « Lorsque les instructions entraînent une immobilisation de véhicule, le transporteur perçoit un complément de rémunération pour frais d'immobilisation facturé séparément. Toute modification au contrat de transport entraîne un réajustement du prix initial »
Lorsqu’il s’agit d’un transport international routier, le droit pour l’expéditeur de modifier le contrat, ainsi que les restrictions à ce droit sont prévus par l’article 12 de la convention relative au contrat de transport international de marchandise par route (CMR). En vertu de cet article, « l’expéditeur a le droit de disposer de la marchandise, notamment en demandant au transporteur d’en arrêter le transport, de modifier le lieu prévu pour la livraison ou de livrer la marchandise à un destinataire différent de celui indiqué sur la lettre de voiture… »
Aussi, au niveau de l’OHADA (Organisation de l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), l’acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route, dans son article 11, donne à l'expéditeur le droit de disposer de la marchandise en cours de route, notamment en demandant au transporteur d'arrêter le transport, de modifier le lieu prévu pour la livraison ou de livrer la marchandise à un destinataire différent de celui indiqué sur la lettre de voiture.
Il s’agit donc, d’un droit de disposition dont bénéficie l’expéditeur. Toutefois, ce droit appartient également au destinataire dès l'établissement de la lettre de voiture si une mention dans ce sens y est faite par l'expéditeur.
Dans tous les cas, qu’il soit dédié à l’expéditeur ou bien au destinataire, l'exercice du droit de disposition est subordonné aux conditions suivantes :
a) l'expéditeur ou, le destinataire qui veut exercer ce droit, doit présenter l'original de la lettre de voiture sur lequel doivent être inscrites les nouvelles instructions données au transporteur et dédommager ce dernier, des frais et du préjudice qu'entraîne l'exécution de ces instructions ;
b) cette exécution doit être possible au moment où les instructions parviennent à la personne qui doit les exécuter et ne doit ni entraver l'exploitation normale de l'entreprise du transporteur, ni porter préjudice aux expéditeurs ou destinataires d'autres envois, notamment lorsque l’opération de transport prend la forme d’un groupage impliquant plusieurs expéditeurs et plusieurs destinataires;
c) les instructions ne doivent jamais avoir pour effet de diviser l'envoi.
Par ailleurs, lorsque le transporteur ne peut exécuter les instructions qu'il reçoit, à raison de l’un des motifs ci-dessus visés, il doit en aviser immédiatement la personne dont émanent ces instructions.
2-Les conséquences du droit de modification
Il s’agit là, de mettre en relief, les implications de la réaction du transporteur, vis-à-vis des nouvelles instructions données par l’expéditeur. Cette réaction, prendra la forme d’une acceptation d’exécution ou d’un refus d’exécution, des nouvelles instructions. Il sera tenu également de vérifier si la partie ayant donné les nouvelles instructions, était habilitée à le faire.
- Dans le cas où le transporteur a exécuté les nouvelles instructions, le destinataire ne peut pas se plaindre du changement auprès de lui ; cela suppose que l’expéditeur avait bien conservé la faculté de changer le contrat primitif ; le destinataire ne peut alors rien réclamer au transporteur. Il n’y a pas à s’interroger sur le point de savoir si l’expéditeur était bien resté propriétaire de la marchandise
- Dans le cas où le transporteur n’a pas exécuté le changement, alors qu’il ne pouvait s’abriter derrière aucun des motifs de refus reconnus ci-dessus, l’expéditeur peut obtenir des dommages-intérêts représentatifs du préjudice qu’il en éprouve. Ici encore, le transporteur n’a pas à se préoccuper de savoir qui est propriétaire de la marchandise. C’est la situation des parties au regard du contrat de transport qui lui dicte la conduite à tenir.
Par contre, le transporteur commettrait une faute s’il exécutait les ordres de l’une ou de l’autre des parties sans avoir vérifié quels sont leurs droits au regard de ce que le contrat de transport et les règles qui s’y appliquent, lui apprennent. Il sera responsable du dommage qu’il aura causé au destinataire par l’exécution d’ordres émanant d’un expéditeur ayant perdu la faculté de changer la destination de la marchandise.
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