L'argent que se font les multinationales au Maroc

Formation et Réglementation
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Quel est le chiffre d’affaires au Maroc de l’américain Procter & Gamble, propriétaire des marques Tide, Pantène ou Pampers ?

Fait-il mieux ou moins bien sur le marché local que son rival de toujours, le néerlando-britannique Unilever (Omo, Sunsilk, Axe…) ? A combien se montent les profits des filiales locales du géant suisse de l’industrie agroalimentaire, Nestlé, ou du producteur de cigarettes, Altadis. Quel est l’endettement des filiales nationales des mastodontes pétroliers, Shell et Total ? Nous sommes évidemment nombreux à se poser ce genre de questions.
En effet, si les filiales de multinationales sont promptes à communiquer sur leurs produits, d’ailleurs bien connus sur le marché marocain, les informations sur leur situation financière et leurs ventes sont livrées avec parcimonie quand elles n’adoptent pas un black-out total.
Il s’agit pourtant d’informations publiques car les filiales de multinationales, ayant le statut juridique de sociétés anonymes (SA) au même titre que toutes les entreprises nationales, sont tenues de déposer leurs états de synthèse au tribunal de commerce de leur ville de domiciliation, pour être consultés par la suite par toute personne qui le souhaite.
La Vie éco a fouiné dans les comptes d’une vingtaine de filiales de multinationales au Maroc parmi les plus connues, Altadis, filiale d’Imperial Tobbaco, ainsi que les spécialistes des produits de consommation courante et de cosmétique (Procter & Gamble, Unilever, L’Oréal, Colgate-Palmolive), de l’agroalimentaire (Kraft, Cadbury, Nestlé), de l’énergie (Air Liquide, Total et Shell), de l’industrie pharmaceutique (Sanofi-Aventis, Pfizer), de l’informatique-électronique (Microsoft, ST Microelectronics et Siemens), de l’électroménager (Whirlpool) ou encore des services (DHL).
Précisons que la base de données de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC), auprès de laquelle nous nous sommes procuré les états de synthèse, ne contenait pas les bilans de l’année 2010 pour nombre de sociétés. Non-respect de l’obligation ou du délai de dépôt ? Selon l’OMPIC, la démarche de numérisation desdits documents peut parfois prendre plusieurs mois.
Dans la plupart des cas, donc, seules les données de l’année 2009 sont disponibles. Mais ces derniers chiffres, n’ayant pas fait l’objet de communication publique jusqu’à présent, n’en demeurent pas moins intéressants.

De prime abord, plusieurs filiales se détachent du lot par leur volume de chiffre d’affaires et leurs profits. Pour ne citer que les exemples les plus notables, Altadis a réalisé un chiffre d’affaires qui avoisine les 13 milliards de DH en 2009. A titre de comparaison, c’est à peu de choses près le même chiffre d’affaires qui a été drainé par le groupe BMCE Bank la même année. Un cran en dessous, les antennes marocaines des géants pétroliers, Shell et Total, affichent des ventes qui atteignent pour le premier 9,5 milliards de DH à fin 2010, et pour le second 7,2 milliards de DH au titre de 2009.
Les filiales spécialisées dans des produits de grande consommation sont à plusieurs crans en dessous, mais dépassent encore le milliard de DH de chiffre d’affaires. Procter & Gamble représenté au Maroc par les Industries marocaines modernes (IMM) affiche 2,3 milliards de DH en 2009. Cette dernière dépasse sa concurrente Unilever qui affiche un volume d’affaires de 1,4 milliard de DH la même année. Talonnant ces deux frères ennemis, le suisse Nestlé a réalisé pour 1,2 milliard de DH de ventes au Maroc en 2010.
Dans la pharmacie, Sanofi Aventis Maroc, filiale du groupe franco-allemand, ferme la marche des filiales réalisant plus d’un milliard de chiffres d’affaires avec 1,02 milliard de DH 2009.
Naturellement, les réalisations commerciales en tant que telles ne constituent qu’un premier niveau de lecture des comptes des filiales de multinationales. Il y a également lieu de s’intéresser à l’évolution de ces agrégats. Il en ressort qu’il est très profitable pour les grands groupes étrangers d’être implantés sur un marché émergent tel que le Maroc. En effet, la plupart des filiales locales ont vu leur chiffre d’affaires croître bien plus rapidement que le rythme affiché par leurs maisons mères. Par exemple, Altadis Maroc a fait progresser ses ventes de près de 42% en 2009, soit 4 fois plus que la performance commerciale de la même année de sa maison mère anglaise Imperial Tobacco qui a toutefois vendu pour 322 milliards de livres sterling de cigarettes (4 198 milliards de DH !) dans le monde. C’est dire si Altadis Maroc a tiré profit de son monopole sur le marché national qui a débuté en 2003 avec l’acquisition de l’ex-Régie des Tabacs pour ne prendre fin qu’en ce début d’année. Idem pour l’antenne locale du géant informatique Microsoft dont les ventes se sont améliorées de plus de 25%, à 135 millions de DH en 2009, alors que la maison mère, malmenée sur les marchés matures dans le monde, connaissait la même année, et pour la première fois de son histoire, une baisse de 3% de son chiffre d’affaires.
Le constat reste encore valable pour le leader mondial des produits de beauté L’Oréal. La branche nationale du groupe a en effet drainé 374,2 MDH en 2009, en progression annuelle de 9%, quand sa maison mère a vu son activité faire du surplace sur la même période.

Leur rentabilité opérationnelle dépasse celle réalisée dans d’autres pays émergents

Elles ne se contentent pas de faire croître leurs ventes plus rapidement que leurs maisons mères, les filiales locales de multinationales s’avèrent également être des championnes de la rentabilité. La filiale de Kraft Foods (Cafés Samar, Carte Noire, biscuits Oréo…) a par exemple réussi une hausse en 2010 de son résultat d’exploitation de 40%, à 15,4 MDH. Au même moment, l’activité opérationnelle du secteur agroalimentaire coté à la Bourse de Casablanca a chuté de 13,1%. Kraft Foods s’appuie pour sa performance sur une hausse à deux chiffres de son activité et sur des gains de productivité. A rappeler à ce titre que Kraft Foods International a fusionné courant 2010 ses activités à l’échelle mondiale avec le spécialiste britannique de la confiserie et des boissons, Cadbury. Justement, ce dernier, s’appuyant sur une progression de 12% de ses ventes au Maroc, à 234,4 millions de DH en 2010, affiche une marge d’exploitation de 21%. Là encore le secteur de l’agroalimentaire coté au Maroc se contente d’une marge d’exploitation de 15,4% en 2010.
Pfizer, Total ou encore Whirlpool réussissent une progression encore plus remarquable de leurs résultats d’exploitation, qui va jusqu’au triplement.
Les implantations locales de grands groupes étrangers se démarquent par leur rentabilité même par rapport aux marchés émergents comparables. En effet, la marge d’exploitation de L’Oréal dans les pays émergents s’est établie à 16,5% en 2009 contre 17,4% au Maroc la même année. Et pour maintenir ces bons niveaux de rentabilité, les multinationales ne lésinent pas sur les moyens pour faire baisser les coûts, salariaux, entre autres. Par exemple, Colgate-Palmolive, pour rattraper une baisse de son chiffre d’affaires 2009 de 9%, a entre autres allégé sa masse salariale de 25%, permettant au final de faire progresser son résultat d’exploitation de 66%.
Plus ambitieux, Nestlé Maroc a réduit ses charges de personnel de 54 % en 2010 pour compenser une stagnation du chiffre d’affaires. Les filiales locales de Procter & Gamble, Air Liquide, STMicro electronics ont elles aussi allégé leurs masses salariales pour faire face à un revers de leur activité.        
Mais en dépit d’un bon comportement global des ventes des filiales de multinationales ainsi que des efforts de rentabilisation de leur exploitation, leurs bénéfices ressortent étonnamment moyens. En témoignent les niveaux de marge nette affichés qui, contrairement aux marges d’exploitation, ne soutiennent pas la comparaison avec tout benchmark national ou international. Nestlé Maroc et Kraft Foods, par exemple, ne dégagent que 2,7% et 3,5% de marge nette en 2010 et 2009 respectivement (à comparer à 9% pour le secteur agroalimentaire coté à la Bourse). DHL Express n’affiche que 0,3%, Whirlpool se contente de 1,6% et le bénéfice de Microsoft ne laisse apparaître qu’un maigre taux de marge net de 1,2%. Une telle situation peut confirmer les hypothèses de remontée de cash au travers de surfacturations de services ou de matières premières par les maisons mères.
Pour ce qui est de la structure bilancielle des filiales de multinationales, il ressort que celles-ci dans l’ensemble n’ont que faiblement recours à l’endettement à long terme. Celui-ci est négligeable, voire nul, pour les antennes d’Altadis, Kraft Foods, Cadbury, L’Oréal, Colgate- Palmolive, Unilever, Procter & Gamble, Sanofi Aventis, ST Microelectronics, Siemens, Microsoft et Whirlpool. En fait, seuls les bilans des implantations locales de Total, Shell et Air Liquide laissent apparaître des dettes à long terme notables. Cela se comprend, au vu du fait que celles-ci cumulent des arriérés vis-à-vis de la Caisse de compensation qu’elles financent par crédit.
Signalons enfin que le tour de table des filiales de multinationales semble être une véritable chasse gardée. Et c’est peu dire. En effet, la répartition du capital social des antennes locales de grands groupes étrangers laisse apparaître une large domination des maisons mères. Celles-ci détiennent en effet dans la quasi-totalité des entreprises considérées plus de 99% du capital social. Par exemple, 682 245 actions des 682 250 actions du capital de Kraft Foods Maroc (Cafés Samar, Carte Noire, biscuits Oréo…) sont détenues par Kraft Foods International, basée à New York.
Cela fait que les parts des autres actionnaires de la plupart des filiales locales sont distribués à l’unité et ne dépassent pas au mieux la dizaine. Très peu d’actions donc pour les partenaires locaux de ces multinationales et encore ! Les maisons mères des grands groupes ne lâchent quelques titres que par obligation légale. En effet, étant généralement constituées sous forme de sociétés anonymes (SA), les filiales se doivent d’avoir au moins cinq actionnaires pour se conformer à la loi sur la SA au Maroc. Celle-ci impose en outre la mise en place d’un conseil d’administration dont les membres doivent également être actionnaires.
Et comme la loi n’impose pas que les actionnaires des filiales soient marocains ni résidents au Maroc, il arrive que des antennes locales ne comptent aucun actionnaire marocain dans leur tour de table. C’est par exemple le cas de Siemens Maroc dont les actionnaires, outre la maison mère allemande, Siemens AG, sont tous des étrangers domiciliés à Munich.

La Vie éco
www.lavieeco.com

2011-11-15

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