L'importance internationale du Maroc est appelée à croître de manière exponentielle dans les années à venir, les ressources en phosphate du pays étant la clé de l'alimentation du monde. Dans une récente analyse complète du potentiel en phosphate du Maroc, le professeur Michaël Tanchum décrit les défis et les opportunités qui attendent le royaume d'Afrique du Nord.
M.Tanchum est professeur à l'université de Navarre, chercheur principal à l'Institut autrichien pour la politique européenne et de sécurité, et chercheur principal associé au programme Afrique du Conseil européen des relations étrangères. Dans son analyse pour le Middle East Institute, basé aux États-Unis, M. Tanchum souligne l'importance d'une action rapide pour développer l'industrie marocaine des engrais de manière durable.
L'importance du Maroc
Dans son analyse, M. Tanchum décrit l'ascension fulgurante de l'industrie marocaine des phosphates et des engrais à base de phosphates.
Le Maroc possède plus de 70 % des réserves mondiales de roche phosphatée, un ingrédient irremplaçable dans les engrais qui nourrissent notre population mondiale massive - et croissante. Tanchum décrit l'importance de la transition du Maroc de l'exportation de matières premières à la production nationale de produits à valeur ajoutée.
Pourtant, Tanchum souligne que "après avoir passé la décennie précédente à transformer son secteur de fabrication d'engrais en un leader industriel mondial, le Maroc est maintenant confronté à de nouveaux défis causés par la pandémie de COVID-19 et les graves perturbations de la chaîne d'approvisionnement qui ont suivi".
Dans un contexte de crise mondiale de la chaîne d'approvisionnement, de prix record des denrées alimentaires et d'insécurité alimentaire et de faim croissantes en Afrique et au-delà, l'importance du Maroc ne cesse de croître. "Si le Maroc peut réussir à aider à endiguer la marée montante de la faim en Afrique, il deviendra l'un des principaux acteurs géopolitiques du continent", souligne Tanchum.
Des défis à relever
Pourtant, malgré les prévisions prometteuses concernant l'influence internationale croissante du Maroc, fondée sur ses précieuses ressources, le pays se trouve confronté à des défis importants.
Le Maroc est l'un des premiers pays à ressentir l'impact dévastateur de la crise climatique croissante, alors que les besoins actuels du pays en eau et en énergie sont déjà à peine satisfaits. La production du produit le plus recherché par le Maroc, l'engrais à base de phosphate, a des exigences importantes en matière d'énergie et d'eau qui pourraient épuiser les ressources déjà limitées du Maroc.
Tanchum décrit une telle situation comme un cercle vicieux, où la demande d'engrais augmente la demande d'eau et d'énergie, laissant la population locale sans ressources. L'industrie marocaine du phosphate consomme déjà 7 % de l'énergie du pays et 1 % de toute son eau.
Ce cercle vicieux pourrait être aggravé par le fait que le Maroc dépend des importations étrangères pour produire de l'azote, un ingrédient important des engrais dont la production nécessite du gaz naturel.
Pourtant, le Maroc a la possibilité de transformer ce cercle vicieux potentiel en un cercle vertueux. En donnant la priorité à ses initiatives en matière d'énergie verte, le Maroc peut accroître ses ressources en eau et en énergie qui, à leur tour, contribueront à alimenter une industrie du phosphate en pleine croissance, tout en disposant de réserves suffisantes pour les citoyens et l'agriculture nationale.
"L'avenir du rôle du Maroc en tant que gardien des chaînes d'approvisionnement alimentaire mondiales dépendra en fin de compte de son succès à l'intérieur du pays dans la réalisation de la transition énergétique pour accroître la durabilité de son industrie des engrais", analyse Tanchum.
Les solutions marocaines
La plus grande entreprise marocaine, le groupe public OCP, géant des phosphates et des engrais, montre déjà la voie lorsqu'il s'agit de résoudre certains des problèmes de sécurité alimentaire du continent africain. M. Tanchum décrit l'expansion rapide des coentreprises sur les principaux marchés africains. Il s'agit notamment de vastes usines d'engrais au Nigeria et au Ghana, pays riches en gaz, en Afrique occidentale.
En Afrique de l'Est, l'OCP construit une énorme usine d'engrais en Éthiopie, ce qui permet à l'Afrique de l'Est et à l'Afrique de l'Ouest de bénéficier des richesses en phosphate du Maroc, grâce à des coentreprises qui tirent parti des richesses en hydrocarbures de ces nations. Grâce à cette coopération sud-sud exemplaire, le Maroc a accès au gaz naturel dont il a tant besoin, tout en renforçant la sécurité alimentaire de l'Afrique et en consolidant la puissance régionale du Maroc.
"Le succès de l'approche holistique d'OCP Africa démontre à la fois la centralité des engrais pour la sécurité alimentaire et la nécessité de renforcer la participation locale dans les chaînes de valeur pour la fabrication des engrais et la production alimentaire", souligne M. Tanchum.
OCP Africa a déjà obtenu des résultats remarquables dans toute l'Afrique. Grâce au partage des connaissances et des technologies, à la fourniture d'engrais adaptés à des types de sols spécifiques en Afrique et à la conclusion d'accords mutuellement bénéfiques, OCP a stimulé les rendements agricoles dans les pays où il opère.
Un Maroc durable
Malgré le succès du Maroc dans la région, une grande partie de son potentiel dépend de la voie politique que le pays emprunte en termes de production domestique d'énergie et d'eau. M. Tanchum met en évidence certains des objectifs ambitieux de l'OCP en matière de durabilité, qui visent à atteindre la neutralité carbone d'ici 2040, et à disposer d'une indépendance énergétique totale d'ici 2030 grâce aux énergies renouvelables.
Il décrit également en détail comment un avenir durable pour le Maroc nécessite un investissement massif dans le pays, par le gouvernement marocain et les partenaires étrangers.
Le Maroc peut se sevrer de sa dépendance au gaz naturel étranger en produisant de l'ammoniac vert à partir d'hydrogène vert, fabriqué uniquement à partir d'énergies renouvelables. Le pays peut également s'approvisionner en eau en abondance grâce à des usines de désalinisation et des systèmes d'irrigation intelligents. Ces ambitions nécessitent toutefois une action rapide, au Maroc et à l'étranger.
Selon M. Tanchum, la production d'énergie du Maroc doit être augmentée de façon massive. L'énergie verte marocaine doit non seulement alimenter le pays, mais aussi faire fonctionner un vaste réseau d'usines de dessalement, d'usines d'hydrogène vert, ainsi que des installations de production de phosphate et d'engrais.
Selon les recherches de Tanchum, "la façon dont le Maroc joue son rôle de gardien des chaînes d'approvisionnement alimentaire mondiales dépendra en fin de compte de sa réussite à réaliser la transition énergétique par l'expansion de son secteur des énergies renouvelables."
Une telle expansion nécessite des investissements étrangers, et Tanchum s'attend à ce que les pays étrangers fassent la queue pour investir au Maroc et renforcer leurs liens avec ce pays. "De tels investissements offrent aux États-Unis et à l'Europe l'occasion d'élever le niveau de leur engagement stratégique avec le Maroc", écrit Tanchum. Il ajoute un avertissement inquiétant : "en l'absence d'un tel engagement, le Maroc s'associera à d'autres acteurs régionaux et mondiaux, ce qui modifiera la géopolitique de la sécurité alimentaire mondiale."
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