Dans ce qui s'annonce comme une longue bataille juridique, un arrêt du 29 septembre de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a donné au Maroc et à l'UE deux mois pour faire appel de la décision de la cour d'annuler l'accord de pêche UE-Maroc.
La CJUE à Luxembourg a rendu mercredi son premier jugement sur le partenariat de pêche durable entre le Maroc et l'UE qui a été adopté le 4 mars 2019. Le verdict "annule" ostensiblement l'accord, même s'il concède que peu de choses changeront dans la pratique. Le jugement a demandé que l'accord Maroc-UE soit "maintenu" pendant que l'affaire judiciaire se poursuit.
Les trois juges du tribunal de l'UE ont déterminé que sans appel, l'accord de pêche serait annulé dans deux mois, la période fixée pour l'appel dans l'article 56 du statut de la CEJ. Cependant, l'UE et le Maroc ont déjà indiqué leur intention de faire appel, ce qui a pour effet de maintenir l'accord en vigueur pour un avenir indéterminé.
La Cour a statué sur trois affaires. Le premier, T-279/19 couvrait la révision en 2019 des tarifs douaniers de l'UE sur les produits de la région du Sahara Marocaine. L'arrêt a également porté sur les affaires jointes T-344/19 et T-356/19, qui concernent le partenariat pour une pêche durable.
L'UE et le Maroc ont semblé vouloir présenter un front uni contre le jugement en publiant une déclaration commune sur l'affaire. Signée par Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne, et Nasser Bourita, ministre marocain des affaires étrangères, la déclaration souligne que les deux partenaires "restent pleinement mobilisés" pour poursuivre leur partenariat "dans un climat de sérénité et d'engagement".
Rabat et Bruxelles se sont ainsi engagés à prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité juridique" de l'accord de pêche dans le cadre plus large des relations commerciales entre les deux parties.
Obtenir le consentement
L'affaire judiciaire tourne actuellement autour de la question de savoir comment déterminer où les habitants de la région du Sahara Marocaine peuvent donner leur consentement pour l'accord de pêche. Selon la décision de la CJE, un processus de consultation antérieur par l'UE n'a pas suffisamment établi le consentement de la communauté locale.
La cour a reconnu le Polisario comme un demandeur légal qui, en ce qui concerne son plaidoyer pour l'autodétermination, peut représenter le peuple de la région devant la cour. L'accord entre l'UE et le Maroc avait établi les avantages de l'accord pour la population locale, mais n'avait pas réussi à établir une déclaration de consentement juridiquement contraignante, selon la cour.
Les accords entre le Maroc et l'UE, a souligné la cour, "concernent la population de ce territoire et nécessitent le consentement de son peuple."
L'affaire actuelle porte l'une des questions clés du processus de paix au Sahara Marocaine
devant la plus haute juridiction européenne. Le processus politique mené par l'ONU pour résoudre le conflit du Sahara a été entravé par la question persistante de savoir qui représente les populations locales de la région, et comment recueillir un sentiment formel de consentement ou de consensus.
Alors que la cour a déterminé que le Polisario est un demandeur légal valide en tant que "partie au processus d'autodétermination", elle semble ne pas considérer le groupe capable de parler au nom des Sahraouis quand il s'agit de donner ou de révoquer le consentement concernant l'accord de pêche.
Le communiqué de presse de la cour souligne que "le consentement du peuple du Sahara.... n'a pas été respecté." Le jugement semble reconnaître que l'accord UE-Maroc n'a pas établi le consentement, tandis que le Polisario n'a pas non plus établi la désapprobation de la population locale.
Implications pratiques
Si la CJE a décidé que l'accord de pêche devait être "annulé", dans la pratique, la bataille juridique passe simplement à l'étape suivante. Le Maroc et l'UE ont deux mois pour faire appel, tandis que l'accord de pêche se poursuit sans interruption avant que l'appel n'ait été déposé, et se poursuit ensuite au milieu de procédures judiciaires en cours qui pourraient prendre plusieurs années supplémentaires.
La décision "ne changera rien sur le terrain pour les opérateurs économiques", a déclaré l'experte en droit européen Genevra Forwood aux médias d'État marocains. Elle a expliqué qu'"il n'y a pas d'impact juridique sur les accords agricoles et de pêche entre le Maroc et l'UE", car les procédures judiciaires devant la CJCE se poursuivent par le biais d'appels.
En attendant, même les trois juges qui ont rendu le verdict de la CJE ont reconnu que l'annulation immédiate d'un accord international entre l'UE et un partenaire commercial de premier plan porterait atteinte à la crédibilité de l'Union et à la "sécurité juridique de ses engagements internationaux".
Le verdict a cependant rendu plus probable un futur verdict concluant en établissant le Polisario comme un demandeur légal valide, et en déterminant l'établissement du consentement local comme un facteur important pour déterminer si l'accord est valide. Cependant, la manière dont ce consentement devrait être établi reste floue.
L'établissement du consentement ne devrait "poser aucun problème", selon Mohammed Alamouri, président de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (Comader), l'une des parties impliquées dans l'affaire. "Rien de tout cela n'affecte notre confiance", a déclaré Alamouri, ajoutant que "le Maroc gagnera son procès. C'est une question de justice".
Le jugement "n'ébranlera en rien l'édifice des relations solides entre le Maroc et l'Union européenne, construites sur l'honnêteté, le respect mutuel et l'intérêt commun", a commenté Mohamed Cheikh, l'ancien président du groupe d'amitié parlementaire Maroc-UE. Il a estimé que recueillir le consentement des Sahraouis constitue une tâche aisée car "ils bénéficient des accords de l'agriculture et de la pêche et sont témoins de la croissance économique régulière des provinces du sud."
Il appartient maintenant aux parties concernées, le Polisario d'un côté, l'UE et le Maroc de l'autre, de tenter d'établir les paramètres encore indéfinis pour déterminer le consentement local à l'accord. Le Maroc et l'UE devront montrer que les accords ne se contentent pas de fournir des "avantages" aux populations locales, mais qu'ils ont également leur consentement.
Parmi les commentateurs marocains, le jugement est interprété comme une déclaration politique et pas nécessairement comme une déclaration juridique. La confiance semble rester élevée que, tout comme en 2015, le processus d'appel devrait aboutir à une issue favorable à l'UE et au Maroc.
Malgré la formulation forte de l'arrêt de la CJUE, il est probable que le jugement ne soit qu'une étape dans la procédure judiciaire en cours, le Maroc et l'UE déposant leur appel. Dans l'intervalle, l'économie croissante de la région marocaine du Sahara continuera à fonctionner comme avant.
Cliquez-ici afin de visualiser le fac-similé de la décision de la Cour de justice européenne
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