Silence radio est une expression souvent utilisée, pour signifier qu’une personne ou une institution, volontairement ou non, ne communique rien sur un problème ou sur un événement.
Dans une de nos éditions en date du 8 juillet 2021, nous nous sommes posés la question de savoir quelle est la place que la marine marchande en général et le transport maritime en particulier, occupent dans la politique conçue et exécutée par le ministère de tutelle faisant partie du gouvernement sortant ?
Il était évident de se poser cette question, parce que le département de tutelle de l’époque communiquait souvent sur les projets qu’il pilotait, à savoir, le plan routes à l’horizon 2035, la stratégie nationale pour le développement de la compétitivité logistique à l’horizon 2030, le plan national de l’eau, le plan rail 2040 et la stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030, sans aucune indication sur le secteur maritime qui manquait et manque toujours de vision. Pourtant, depuis 2014, on parle d’une étude en vue de l’élaboration d’une nouvelle stratégie du secteur du transport maritime marocain et du développement du pavillon national au Maroc.
La nomination de l’actuel gouvernement le 7 octobre 2021, a permis de nourrir quelques espoirs quant au devenir du secteur, surtout que le ministre en charge du secteur avait assumé de hautes responsabilités au sein du département de l’équipement et des transports, avant de présider aux destinées de Marsa Maroc, issue de la réforme portuaire, tout comme l’agence nationale des ports.
Nous dirons d’emblée que depuis cette date, presqu’une année maintenant, nous n’avons enregistré aucune décision d’envergure au profit du secteur qui nous intéresse ; autrement dit c’est le « silence radio ». Ah! si, il y a eu le déménagement de la direction de la marine marchande de Casablanca vers Rabat et son retour sur Casablanca, dépouillée toutefois de ses cadres. Nous n’arrivons pas à trouver un qualificatif pour décrire objectivement et fidèlement cette opération. Nous pensons néanmoins qu’au-delà de ce mouvement, un problème de fond se pose ; il concerne la gouvernance administrative directe du secteur. Nous y reviendrons.
Nous avons toujours estimé que, pour des raisons que nous ignorons et faute d’actions concrètes pouvant nous contredire, le gouvernement ne traite pas les secteurs portuaire et maritime sur le même pied d’égalité. Le domaine maritime demeure le parent pauvre des pouvoirs publics. Ce constat est confirmé d’ailleurs par la direction stratégique relevant du ministère de l’économie et des finances, qui avait remarqué, il y a quelques années, que « le transport maritime au Maroc connait deux tendances opposées : un processus de développement soutenu des infrastructures portuaires et un pavillon national en déclin ».
Nous pouvons dire sans risque de nous tromper que notre situation a servi de leçon à certains pays voisins qui, non seulement n’ont pas procédé à la cession de leurs armements étatiques, mais ils ont pris les mesures nécessaires surtout sur le plan financier, pour les aider à maintenir leurs activités, avec tout ce que cela entraine comme retombées aux niveaux économique et surtout social.
Tout récemment, le ministre Egyptien des transports a déclaré que la stratégie égyptienne en matière de transport maritime vise à développer et à accroître la compétitivité des ports maritimes, ce qui inclut l'objectif de développer et de soutenir la flotte marchande égyptienne, en lui permettant d’assurer le transport de 25 % du volume du commerce extérieur de l'Egypte. Il a signalé qu’une course contre la montre est engagée pour atteindre cet objectif.
Au Maroc, la libéralisation du transport maritime opérée en 2007, exigée semble-t-il par l’accord d’association conclu avec l’Union Européenne, a eu pour conséquence la suppression de l’encadrement des lignes régulières et l’octroi du libre accès aux grands transporteurs étrangers pour exploiter directement leurs navires entre les ports européens d’éclatement et les ports marocains, sans recourir aux navires marocains. Cette politique a malheureusement mis les armements marocains à genoux face à une rude concurrence soutenue par ces méga-carriers, en l’absence d’aides de l’Etat et des mesures d’accompagnement pour garantir la mise à niveau desdits armements. La privatisation de la Comanav à quant à elle était fatale eu égard à ses impacts sur les plans économique et social. La perte pour l’Etat d’un outil mobilisable en période de crises, pour des besoins stratégiques, est lourde de conséquences.
Contrairement au transport maritime, le transport aérien, lorsqu’il a été libéralisé avec la mise en œuvre de l’« open sky », la compagnie nationale de transport aérien (Royal Air Maroc) n’a pas fait l’objet de privatisation. Au contraire, la RAM a conclu avec l’Etat dès 2011 un contrat-programme qui vise à rétablir les fondamentaux économiques de la compagnie. En 2020, l’Etat a prévu un accompagnement ciblé pour certains établissements publics dont la RAM, car ils étaient touchés sévèrement par la crise sanitaire de Covid-19, causant notamment un tarissement ou une réduction drastique de leurs revenus.
Actuellement, un rapport établi par le département des Finances recommande ce qui suit : «Il est ainsi urgent et nécessaire de conclure, avant la fin de cette année, un nouveau contrat-programme Etat-RAM» dont l’objectif est de consolider les «efforts et les avancées réalisés» dans le cadre du contrat-programme 2011-2016 et conforter davantage le déploiement du plan de développement de la compagnie.
La RAM a donc toujours été appuyée par l’Etat et nous ne pouvons que nous en féliciter. Nous saluons et soutenons les efforts de l’Etat de la manière la plus vive, mais ceci ne nous empêchera pas de nous demander sur l’attitude du gouvernement vis-à-vis de l’armement ou des armements étatiques de commerce maritime, à savoir Comanav et Marphocean. Celle-ci qui armait 14 navires de transport de produits chimiques a été dissoute et des centaines d’emplois sont perdus en conséquence. Comanav est réduite à une simple agence représentant un armement étranger qui a bien profité et continue de la libéralisation du secteur. Le Maroc aurait dû conserver au moins la société Comanav, ce qui lui aurait permis de garder un noyau dur d’une flotte, pour sécuriser une partie assez importante de nos échanges commerciaux, constituant ainsi une flotte à mobiliser pour les besoins stratégiques de notre pays.
Nous croyons enfin que ce secteur nécessite une intervention d’urgence, intervention innovante, en vue de redresser la situation et renouer avec un passé assez récent que certains n’hésitent pas à qualifier, à juste titre, d’«âge d’or», où l’armement marocain se composait de près d’une vingtaine de compagnies maritimes, possédant plus de 80 navires qui assuraient le transport du quart des échanges commerciaux du pays ; la flotte de car-ferries assurait quant à elle, la moitié du trafic de passagers constitués essentiellement de nos compatriotes Marocains du Monde.
C’était une époque où l’administration de tutelle (on revient ici sur la question de la gouvernance) était bien structurée, disposait de cadres de haut niveau, exerçait pleinement ses prérogatives et nouait des relations de coopération avec des pays étrangers et des organisations internationales.
Nous ne dirons jamais assez sur l’efficacité d’une administration publique. Ce qu’il faut retenir c’est que cette efficacité dépend largement des ressources humaines qui, si leur compétence est confirmée, elles permettent à ladite administration d’exercer pleinement ses pouvoirs, de concevoir et d’exécuter les stratégies de développement du secteur dont elle a la charge et de faire respecter les textes législatifs et règlementaires qui régissent son domaine d’intervention. C’est notre conviction.
Nous craignons que si rien n’est entrepris dans le plus court terme, en vue de remédier aux handicaps décrits ci-dessus, le savoir-faire et les compétences acquises en matière d’exploitation et de gestion des navires de commerce, ainsi qu’en matière de supervision du secteur, finiront tout simplement par disparaitre.
Vous conviendrez avec nous qu’un silence radio peut à tout moment être rompu, car cela ne dépend que de la volonté de celui qui l’observe ; mais ce qui nous fait peur, c’est que ce silence se transforme en un silence de mort.
Mais osons terminer sur une note optimiste pour dire que malgré tout, les pouvoirs publics finiront par se rendre compte des réalités et prendre leurs responsabilités en vue de définir une vision claire pour le secteur, avec des objectifs concrets et mesurables et mobiliser tous les moyens humains et matériels en vue de doter notre pays d'une flotte de commerce diversifiée, battant pavillon marocain ; car il ne faut jamais perdre de vue que les grands changements ne peuvent émaner que des pouvoirs publics. Rappelons-nous ici l’impulsion donnée par le Dahir de 1973 qui a mis en place un cadre instituant des encouragements financiers substantiels pour le développement de notre pavillon.
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