Né en 1964, il a été le compagnon de millions de petits écoliers marocains.
Jusqu’à la fin des années 1990, Conapa en produisait 250 000 par jour, en haute saison.
«Al Fahd» accaparait 85% du marché du cahier scolaire petit format.
Depuis 2004, il est mis à mal par les produits d’importation.
Un jaguar menaçant, juché sur un globe terrestre encadré par deux rameaux reliées par un ruban, l’icône est gravée dans la mémoire de millions de Marocains qui, écoliers, ont fait leurs armes avec les cahiers «Al Fahd». En bonus, les écoliers avaient également droit, au verso, aux tables de multiplication. Qui n’a appris ses tables sur les cahiers au jaguar?
L’histoire des cahiers Al Fahd remonte à 1964. Mohammed Taieb Kettani, PDG de Conapa, l’entreprise qui le fabrique, raconte : «Nous avons démarré en 1962 avec 300 000 DH et un fonds de commerce au boulevard Albert Ier, à Casablanca, dans un local de 800 m2. L’entreprise employait 13 personnes. Elles seront une quarantaine deux années plus tard». Cette augmentation de l’effectif avait été opérée, en réalité, dans le cadre d’une nouvelle stratégie. En effet, la dizaine d’actionnaires de la société avait alors décidé de se lancer dans la fabrication de cahiers d’écoliers. «Les produits français étaient à l’époque solidement implantés, mais il s’agissait d’apporter au consommateur marocain un produit utile et accessible», explique Reda Chraïbi, directeur commercial de l’entreprise. Le créneau était porteur compte tenu de la politique affirmée d’alphabétisation mise en œuvre après l’Indépendance. Le cahier Al Fahd de 48 pages est alors positionné sur le segment bas de gamme, comme c’est encore le cas aujourd’hui. «Ce n’est pas une question de savoir- faire. Il existe deux fabricants de machines à cahiers à travers le monde, ce qui fait que tout le monde est capable de produire la même chose», explique M. Kettani.
Bas de gamme, certes, mais les caractéristiques générales du cahier collent aux normes internationales. Et pour l’anecdote, les tables de multiplication, en fait, n’étaient pas un choix du fabricant mais une obligation qui lui était faite, à l’époque, par le ministère de l’éducation nationale. C’était la seule information admise pouvant servir aux élèves sans être considérée comme de la tricherie. Aucune autre indication, telle nom des fleuves, par exemple, n’était tolérée.
Dès le lancement, le succès est au rendez-vous et Al Fahd devient le standard pour les cahiers d’écoliers. Dix ans plus tard, il est le champion incontesté du secteur. Le cahier est disponible un peu partout dans le pays. Au fil du temps, le réseau de distribution, pour accompagner le succès, s’est organisé autour de sept dépôts régionaux sur les principales villes que sont Casablanca, Rabat, Agadir,Oujda, Fès, Marrakech et Tanger. Chaque dépôt approvisionne la ville et son arrière-pays. Le circuit traditionnel, dominé par Derb Omar, fait l’appoint.
Les prix ont baissé de 40 % en 10 ans
Bien que dépendante d’une demande saisonnière, l’activité progresse vigoureusement. Le calendrier de production est étroitement lié à celui de l’enseignement. Traditionnellement, et depuis le départ, la production débute six mois avant «la campagne scolaire», terme qui, dans le jargon professionnel, désigne la rentrée des classes, période de rush sur les fournitures scolaires. Résultat : de janvier à juillet, l’usine tourne à plein régime. En 1998, la société est même obligée de quitter ses locaux d’Albert Ier pour un nouveau site de 40 000 m2 couverts, à Dar Bouazza. La capacité monte alors à 250000 par jour, soit des besoins en papier se situant entre 10 000 et 12 000 tonnes par an. Le marché continue à s’élargir. «Statistiquement, un écolier consomme en moyenne 20 cahiers par an. Lorsqu’on réalise qu’il y a 7 millions d’élèves dans les écoles primaires, qui constituent la majorité des consommateurs de cahiers petit format, cela donne une idée du marché potentiel des cahiers scolaires»,fait remarquer le PDG.
Pourtant, la dynamique sera quelque peu perturbée à partir de 2004.40 ans après son lancement, et après avoir régné en maître sur son créneau, Al Fahd a commencé à montrer des signes d’essoufflement. A l’origine de la crise, l’afflux massif de produits étrangers, à la faveur de la libéralisation.
La diversification pour ne pas fermer boutique
«Nous sommes dans un marché de prix ; ce qui signifie que seul ce critère entre en ligne de compte lors de la décision d’achat», explique le directeur commercial. Or, sur ce point justement, Conapa a du mal à suivre. «70% des matières premières sont importées et supportent un droit de douane de base de l’ordre de 50 %, en plus de la TVA, alors que certains fabricants étrangers sont parfois subventionnés par leur Etat», dénonce M. Chraïbi. Conséquence directe : une baisse des prix des cahiers. Ainsi, le cahier de 48 pages est vendu aujourd’hui à un prix moyen de 0,70 DH contre 1,15 DH en 1997.
Devant cette situation, les dirigeants ont même pensé, un moment, fermer boutique alors que vers la fin des années 1990 l’entreprise revendiquait 85% de parts de marché, soit 20 millions d’unités vendues pour les seuls cahiers Al Fahd. Mais, plutôt que de baisser les bras, ils ont finalement préféré relever le défi. Le choix a été de se réorienter et de développer d’autres activités tout en restant dans le domaine de la papeterie. C’est ainsi que Conapa s’est lancé dans la fabrication de plusieurs produits de bureautique, soit au total une vingtaine de marques. «Cependant, ce sont les mêmes problèmes qui se posent en matière de concurrence: le marché est tiré vers le bas et un processus de destruction de valeur semble avoir été programmé», martèle M. Kettani. A son avis, ce sont les règles du jeu qui sont faussées. «On nous demande de nous battre, tout en ayant les pieds et les mains liés», déplore-t-il. A l’évidence, l’avenir du Jaguar, comme celui de bien d’autres produits, dépend d’une amélioration de la compétitivité des prix qui elle-même est liée au niveau des droits de douane supportés par la matière première. Quoi qu’il en soit, le Jaguar continue de se battre et n’est pas près de disparaître. C’est du moins la volonté de Conapa, dont le patron dit ne pas craindre les produits chinois.
"Article Paru dans la Vie Eco, l'histoire des marques"
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