Tensions Maroc-Allemagne: des projets et des acteurs économiques dans l'expectative

Commerce Exterieur
Typography

Malgré le coût économique que cette décision peut avoir, le Maroc l'a prise, ce qui montre qu'il est déterminé à défendre ses intérêts stratégiques quel qu'en soit le prix.

Le 1er mars, le ministère des affaires étrangères a décidé de suspendre tout contact avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat. Les tensions entre les deux pays sont telles que Nasser Bourita a appelé tous les départements ministériels et l’ensemble des organismes qui relèvent de leur tutelle de faire de même.

Ils sont « priés de bien vouloir suspendre tout contact, interactions ou action de coopération, en aucun cas ou sous aucune forme, aussi bien avec l'ambassade d'Allemagne au Maroc qu'avec les organismes de coopération et les fondations allemandes qui lui sont liés », indique le courrier du ministère des affaires étrangères adressé aux membres du gouvernement.

On comprend de cette partie que la suspension des relations ne concerne pas seulement le volet diplomatique mais touche aussi des aspects de coopération économique.  

Car la Coopération allemande (GIZ), qui travaille au Maroc depuis 1975 et y présente depuis 1999, est active dans plusieurs domaines sociaux et économiques avec un focus sur les secteurs de l'énergie verte, l'eau et le développement durable. Sur son site web, la GIZ donne un aperçu de ses projets portés au Maroc. D'autres institutions allemandes sont actives dans le royaume à savoir la banque de développement KfW ou la Chambre Allemande de Commerce et d’Industrie au Maroc (AHK Marokko). 

Que veut dire concrètement la suspension des contacts avec ces représentations ? "La décision du ministère des affaires étrangères est claire. Elle n'a nulle besoin de commentaires", nous répond une source au gouvernement. 

Comprenez, tous les départements ministériels et les organismes sous leur tutelle se mettent en "mode silencieux" vis-à-vis de leur homologues et partenaires allemands en attendant de nouvelles consignes. 

Le secteur privé reste dans l'expectative 

Qu'en est-il des institutions privées ? Le secteur privé n'est nullement mentionné dans le courrier de Nasser Bourita, car bien évidemment le gouvernement n’a pas à lui dicter ses actions. La suspension annoncée de contact avec les représentations allemandes n’est pas supposée avoir un impact sur le milieux des affaires. Mais la réalité est différente. 

Même en l’absence de consignes particulières aux hommes d’affaires à ce sujet, quand la tension porte sur des « malentendus profonds au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc », tout homme d’affaires aguerri réfléchira à deux fois sur la posture à adopter vis-à-vis de l’Allemagne ces jours-ci.

Il n'est pas question ici des flux commerciaux, mais plus de diplomatie économique portée par les représentations des hommes d'affaires. A titre d'exemple, en décembre 2020, la CGEM et la Chambre Allemande de Commerce et d’Industrie au Maroc (AHK) ont signé une convention de coopération qui a pour objectif de "consolider les relations commerciales bilatérales entre le Maroc et l’Allemagne et de renforcer les liens économico-diplomatiques, en cohérence avec les initiatives gouvernementales récentes". 

Les contacts seront-ils maintenus dans le cadre de cette convention ou bien les hommes d'affaires s'aligneront-ils sur la décision du gouvernement ? Une question à laquelle nous n'avons pas pu obtenir de réponse de la part du patronat. 

Quoi qu'il en soit, il parait évident qu'il y a un attentisme de la part des acteurs marocains qu'ils soient privés ou publics. Ce qui ne manquera pas de mettre entre parenthèses certains projets ou conventions. 

Une forte présence de la coopération allemande

Rien qu'en 2020, plusieurs conventions ont été signées entre des départements ministériels ou organismes publics avec des représentations allemandes. Sans être exhaustifs, on peut citer une des plus récentes, l'octroi au Maroc d'une enveloppe de 1,387 milliard d'euros par l'Allemagne en décembre dernier. 

Cette enveloppe se déclinait en un soutien direct de l'Allemagne aux efforts du Maroc dans la lutte contre la Covid-19, le financement de la première tranche du "Partenariat pour les réformes", engagé entre les deux pays pour la période 2020-2022 et le financement de projets de développement économique d’envergure, comme ceux portant sur la réforme du secteur financier ou ceux relatifs au développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert.

Sur l'hydrogène vert, par exemple, le Maroc a récemment affiché une grande ambition, encouragé par son partenariat avec l'Allemagne. Les deux pays ont signé, en juin 2020, un accord relatif au développement du secteur de la production de l’hydrogène vert. 

Deux premiers projets ont été annoncé dans la foulée. L'un est consacré à la mise en place d’une plateforme de recherche dans le domaine des énergies renouvelables. Le second projet encourage l’échange scientifique via la mise en relation de l’Institut de Recherche en Énergie Solaire et en Énergies Nouvelles (IRESEN) avec lʼInstitut Frauenhofer. 

Sur la revue économique maroco-allemande portée par la Chambre Allemande de Commerce et d’Industrie au Maroc (AHK Marokko), nous apprenons que les deux institutions travaillent conjointement sur le projet « Green Ammonia » pour une production plus écologique de l’ammoniac grâce à l’hydrogène. Une usine est en phase test pour évaluer la production dans des conditions industrielles.

La même source ajoute que Masen a commencé les préparatifs pour la construction de la première usine de production hydrogène du monde. L’agence bancaire allemande KfW soutient la construction de cet espace qui devrait produire 100 MW d’énergie hydrogène d’ici 2025. 

l'Intégration optimisée des énergies renouvelables dans le système électrique, l'appui à la politique énergétique du Maroc, l'appui à la mise en œuvre de la Stratégie nationale de la Formation professionnelle 2021 – TAMHEEN,... sont autant de projets en cours.

Un apaisement espéré

Une période d'attentisme naturelle s'installe. Tout le monde temporise pour voir la suite des événements. "nous espérons que les choses iront dans le sens de l'apaisement", nous confie une source qui a plusieurs projets en commun avec les représentations allemandes.

La réaction allemande n'a pas tardé. Le mardi 2 mars, le ministère fédéral des Affaires étrangères allemand a convoqué l'ambassadrice marocaine pour tenter d'apaiser les tensions diplomatiques entre les deux pays, a-t-il annoncé à Berlin. « Nous avons invité l’ambassadrice du Maroc à une réunion urgente avec le secrétaire d’État au ministère des affaires étrangères pour clarifier les événements rapportés du Maroc », a indiqué lors d’une conférence de presse régulière à Berlin Christofer Burger, porte-parole du ministère des Affaires étrangères allemand, rapporté par l'AFP.

« De notre point de vue, il n’y a pas de raison que les relations diplomatiques soient affectées. L’Allemagne et le Maroc collaborent étroitement depuis de nombreuses décennies, ce qui, à notre avis, est toujours dans l’intérêt des deux pays », a-t-il précisé. « A cet égard, rien n’a changé dans la politique allemande à l’égard du Maroc », a-t-il conclu.

Mais le Maroc voit les choses autrement. Selon une source autorisée, la décision du gouvernement est intervenue après une série d'actes et de positions de l'Allemagne qui vont à l'encontre des intérêts stratégiques du Royaume.

Pour la suite des évènements, les regards sont désormais rivés sur les officiels des deux pays...

Pour réagir à ce post merci de vous connecter ou s'inscrire si vous n'avez pas encore de compte.