Alcools : ce que préfèrent les marocains

Formation et Réglementation
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Ramadan commence début août, mais depuis quelques jours déjà, nombreux sont les Marocains qui ont commencé une période d’abstinence vis-à-vis des boissons alcoolisées qui va de 40 jours avant Ramadan, comme le veut la coutume, à quelques jours seulement pour les mordus.

A cette période, il faudra ajouter quelque 35 jours (Ramadan, fête célébrant la fin du jeûne et délai d’ouverture des débits de boisson, variable selon les préfectures). Au final, l’abstinence s’étalera, selon les buveurs, entre 40 et 75 jours. Ce sevrage forcé laissera forcément quelques traces dans un secteur qui génère des profits non négligeables. Ce dernier réalise traditionnellement quelque 22% de son chiffre d’affaires rien qu’entre le 15 juillet et la fin août.
Un coup dur pour les opérateurs qui traversent depuis 2009 un creux. Et ce n’est pas la légère amélioration de la consommation observée durant les cinq premiers mois de l’année 2011 qui changera la donne. A fin mai, les ventes de bière, qui représente en volume 70% de la consommation de boissons alcoolisées au Maroc, ont en effet totalisé 40,8 millions de litres, en progression de 5% par rapport à la même période de l’année dernière, d’après les chiffres de l’administration des douanes. Même avec cette progression, on est loin des réalisations de 2009

Selon le cabinet d’études indépendant International wine & spirit research (IWSR), qui fait autorité dans le domaine, les ventes de boissons alcoolisées (tous types confondus) avaient totalisé cette année-là 130,5 millions de litres. Elles ont chuté de 10% en 2010 pour se situer à 117,5 millions de litres, largement inférieur au seuil des 131,1 millions de litres franchi en 2008.

Autre constat, contrairement à l’idée très répandue, les Marocains ne sont pas de grands buveurs : leur consommation de boissons alcoolisées s’est élevée en moyenne à 3,65 litres par habitant et par an en 2010, dont 2,4 l pour la bière seulement. La comparaison avec des pays similaires démontre clairement que la consommation nationale reste mesurée. Elle atteint, par exemple, 3,9 litres en Algérie  et même 10 litres en Tunisie. Dans ce dernier cas, il faut toutefois tenir compte du flux annuel de touristes par rapport à la population. Toujours est-il que dans certains pays occidentaux, la consommation moyenne de boissons alcoolisées, tous types confondus, atteint plus de 100 litres par habitant et par an.
Trois facteurs expliquent la chute de la consommation au Maroc. Le premier est la décision du gouvernement d’augmenter la taxe sur la consommation intérieure appliquée aux boissons alcoolisées à partir de janvier 2010. Un surcoût qui avait été répercuté sur les prix de vente. Résultat, il fallait payer en moyenne 10% plus cher pour l’achat de la bière et 5% à 8% de plus pour les vins et les spiritueux. Le deuxième facteur est, lui, en relation avec le marquage fiscal mis en place pour les bières à compter de la mi-2010 et la hausse du coût du marquage pour les vins et spiritueux et qui est venu augmenter le coût à la vente des produits.
Conséquence, le cumul des augmentations entre TIC et marquage fiscal a fait grimper les tarifs de 12% pour les bières et de 12 à 15% pour les vins et spiritueux.
Le troisième facteur tient au fait que, depuis trois ans, une partie de la saison estivale, où, d’habitude, la consommation d’alcool bat son plein, coïncide avec Ramadan : une semaine du mois d’août en 2009, 19 jours en 2010 et tout le mois d’août en 2011. Et la situation n’est pas près de s’arranger puisque Ramadan, en 2012, sera à cheval entre les deux mois de vacances que sont juillet et août et 2013 ne sera pas non plus épargnée.
Enfin, le quatrième facteur, lui aussi d’ordre conjoncturel,  est le tassement de l’activité touristique à cause du Printemps arabe et, en ce qui concerne spécialement le Maroc, l’attentat du café Argana à Marrakech. Les opérateurs le savent bien : moins de touristes équivaut à moins de consommation d’alcool. Du coup, ils ne pourront pas compter sur les visiteurs étrangers pour compenser la baisse de la consommation locale en été.
Au final, l’on s’attend à ce que la période estivale enregistre un manque à gagner sur le chiffre d’affaires de l’ordre de 18 % cette année, selon les professionnels. Quant à l’IWSR, il table sur des ventes de 112 millions de litres pour toute l’année 2011, soit une autre baisse de 4,6%. Entre 2008 et 2011, soit sur une période de 3 ans, une baisse de 14,6%.

Les répercussions commencent déjà à se faire sentir. La société des Brasseries du Maroc qui détient 94% du marché de la bière a décidé de fermer son usine de Tanger d’une capacité de 60 000 hl/an. Le groupe se dit contraint de recourir à cette mesure à cause de la baisse de son activité. Le volume vendu en bière locale a chuté de 10,5 millions de litres, en 2010, selon IWSR.
Le principal opérateur du secteur impute ces difficultés essentiellement à l’augmentation de la TIC et aux frais de l’opération de marquage fiscal. Il plaide ainsi pour la suppression de ces dispositions qui, selon lui, provoquent une baisse de la consommation et par conséquent des recettes. Le pays a déjà vécu ce scénario au début des années 1990. A l’époque, le gouvernement avait doublé la TIC sur les boissons alcoolisées, la faisant passer de 400 DH/hl en 1992 à 800 DH en 1993. Les ventes avaient chuté de 30% durant les deux années suivantes. Se rendant compte de l’effet pervers de sa disposition, l’Etat était revenu sur sa décision en ramenant la taxe à sa valeur initiale à partir de 1995.
Seize ans plus tôt, le secteur avait subi déjà les premières répercussions de l’instauration d’une TIC élevée. En 1979, année où Ramadan coïncidait avec le mois d’août, le gouvernement avait, pour la première fois, relevé le seuil de cette taxe qui avait atteint 60% du prix de vente public des vins. A cette époque-là, le Maroc produisait 100 millions de litres de vin, dont 25 millions consommés localement, contre trois fois plus dans les années 60. Et depuis, les consommateurs marocains qui étaient des adeptes de vin s’étaient rabattus sur la bière qui était moins taxée. A l’époque, «la superficie viticole cultivée était de 500 000 ha alors qu’elle ne dépasse pas les 9 000 ha actuellement», souligne non sans amertume Brahim Zniber, patron de Celliers de Meknès qui contrôle plus de 80% du marché viticole au Maroc. Et pour lui, il ne faut plus se faire d’illusions : «L’activité viticole est en voie de disparition au Maroc». Après le déplacement du vin vers la bière au début des années 80, le même schéma risque de se reproduire, mais en pire. C’est en tout cas ce que craignent certains opérateurs. «Après ces hausses des prix dues à la répercussion de la TIC et du marquage fiscal, il y aura certainement des consommateurs, notamment ceux de la classe sociale modeste, qui seront tentés par des produits moins chers comme ceux de la contrebande et des produits de mauvaise qualité, la mahia en l’occurrence, voire l’alcool à brûler carrément», prévient un importateur de spiritueux.
Autrement dit, l’Etat doit trouver un équilibre entre taxation des boissons alcoolisées, solution facile et fortement préconisée par certains partis et la nécessité de maintenir un secteur et de prévenir le détournement des habitudes de consommation vers des produits de mauvaise qualité ou frelatés.

 "article paru sur la vie eco du 25/7/11" 

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