Mise en œuvre des conventions de l’OMI : C’est là que le bât blesse !

Sécurité Maritime
Typography

En marge à la Journée Mondiale de la Mer, la perle du Détroit sera le théâtre d’une manifestation parallèle organisée du 27 au 29 Octobre 2014, et dont le thème pour cette année est : « Conventions de l’OMI : Application efficace ». En prélude à cet évènement, ces quelques modestes lignes qui, je l’espère, mettront en lumière les entraves à l’entrée en vigueur de certains instruments de l’OMI[1].

 

Il est un fait qu’il convient d’annoncer d’emblée : le mécanisme d’entrée en vigueur des conventions de l’OMI et de leurs protocoles n’est pas uniforme. En effet, chaque instrument comporte un article précisant les modalités qui ont été négociées. De manière générale, l’entrée en vigueur des conventions de l’OMI est tributaire de l’expression d’un certain nombre d’États à en être liés. Pour ce faire, une condition majeure s’impose en ce que parmi ces États, quelques uns doivent être des pays armateurs de poids, possédant un certain pourcentage du tonnage brut mondial[2].

Ce procédé est le gage pour un armateur qu’une convention n’entrera en vigueur qu’à la condition que ses concurrents adhèrent aux prescriptions de ladite convention. Par voie de conséquence, de peur de perdre sa compétitivité, et en l’absence de toute garantie, chaque État va attendre que ses concurrents aient ratifié telle ou telle convention pour s’engager à son tour. Encore un frein à l’entrée en vigueur des conventions de l’OMI !

Il n’est pas rare que certains États, sous l’influence de motivations d’ordre politique ou économique comme la satisfaction des groupes de pression environnementalistes ou l’obtention des faveurs des gouvernements, adoptent une convention bien qu’ils ne soient pas intéressés par la mise en œuvre des réglementations qui en découlent. Autre phénomène, certains gouvernements, par souci de prouver leur dynamisme à la presse et aux électeurs,

« agissent en catastrophe et optent pour des solutions expéditives dénuées de tout fondement technique »[3]. À cet égard, l’on peut évoquer les solutions apportées à un problème qui n’avait aucun rapport avec sa cause ; allusion étant faite à la catastrophe du Torrey Canyon dont l’échouement a abouti à une réponse immédiate en rendant obligatoire le procédé de chargement sur résidus. Cette mesure répond plutôt à un problème de pollution opérationnelle qu’accidentelle. Mieux encore, la catastrophe de l’Exxon Valdez due à une erreur de navigation avait pour conséquence de rendre obligatoire la double coque sur ce type de pétroliers. Cette mesure, aurait-elle empêché le déversement dans ce cas d’espèce[4] ?

Par ailleurs, il est important de rappeler que le processus d’adoption et le processus de mise en œuvre d’une convention de l’OMI diffèrent amplement[5]. En effet, le second « se joue en interne avec des considérations d’intérêts uniquement nationaux et exige l’intervention des personnes qui n’ont pas nécessairement participé aux travaux des conférences diplomatiques. Le réflexe protectionniste et l’extrême suspicion des gouvernements devant ce qui provient de l’échelon international vont donner lieu à un examen interminable de la convention pour comprendre toutes ses implications au niveau national »[6]. Ces entraves sont majorées par la lenteur[7] bureaucratique et la submersion des administrations et des législateurs internes par des questions domestiques qui priment sur les engagements internationaux des États. Et partant, la mise en œuvre des réglementations internationales reste dans les bras de Morphée[8] !

Et lorsqu’une convention trouve le chemin rapide de la ratification, c’est que les pays industrialisés, souvent des pays d’armateurs, redoutent les mesures unilatérales qui sont source de coûts excessifs pour leurs armements. Les Etats qui sont réticents à devenir parties à une convention, eux, cachent les plus souvent une insuffisance de responsabilité ou des prétentions à de plus vastes pouvoirs[9].

Les pays en voie de développement sont eux aussi pointés du doigt, car peu enclins à ratifier bon nombre d’instruments[10]. Animés d’une perspective d’avenir plus brillante et soucieux de développer leurs flottes marchandes, ils ne peuvent se permettre les dépenses nécessaires pour se conformer aux normes internationales[11]. Enfin, les États dont les pavillons dits « de complaisance » ratifient la quasi-totalité des conventions les plus importantes ; l’idée étant d’assurer à leurs pavillons un accès aux principaux ports du globe en vue de maintenir l’attrait des affréteurs[12].

Somme toute, tant que les sacro-saintes règles du profit commercial dominent l’industrie du transport maritime et l’idée que se fait la société industrielle du développement économique au détriment des normes de sécurité, l’application de ces dernières ne peut être assurée comme il se doit. Ainsi, inculquer une « culture de sécurité »[13] au sein de l’industrie maritime n’est-elle pas une voie à explorer ? C’est d’ailleurs la tentative que l’OMI a amorcée depuis un certain temps, étant consciente de la nature du problème et des limites de ses pouvoirs.

Mohammed Rida ELMARIKY

Pilote au port de Tanger Med

PhD



[1] Un prochain article traitant des spécificités de la réglementation élaborée par l’OMI paraîtra sous peu.

[2] Par exemple, l’entrée en vigueur de la convention SNPD dépend du consentement d’au moins douze États dont

quatre doivent posséder chacun au moins deux millions d’unités de jauge brute (art.46 de la Convention SNPD).

[3] M’GONIGLE (R.M.) et ZACHER (M.), “Pollution, politics and international law: Tankers at sea”, Berkeley-Los Angeles-London, University of California Press, 1979, p.315.

[4] Nouvelles de l’OMI, Bulletin de l’Organisation Maritime Internationale, n°3, 1995, p.XI.

[5] Signer une convention = exprimer son intention de devenir Partie à ladite convention / Ratifier une convention = être obligé de l’appliquer / Adhérer à une convention = devenir Partie à ladite convention à condition qu’elle soit en vigueur.

[6] SAHEB-ETTABA (A.), « La protection juridique de l’environnement marin dans le cadre du transport

maritime de substances nocives et potentiellement dangereuses », (1998) 32, RJT, p.550.

[7] A la suite du naufrage du Herald of Free Enterprise, l’efficacité du gouvernement britannique a été remise en

cause en raison du nombre insuffisant d’inspection des affaires maritimes pour vérifier la sécurité des navires

rouliers à passagers en particulier. De nombreuses pressions légales ont été exercées pour réformer ces règlements et augmenter ces effectifs. Le ministère des transports britannique s’est trouvé dans une position critique, car les réglementations maritimes ne sont pas décidées unilatéralement mais en consultation avec l’OMI. Or, cette organisation est très lente dans l’élaboration des lois et des réglementations. Cette lenteur était en contradiction avec la pression qui s’exerçait sur le gouvernement britannique pour réagir rapidement aux évènements et donner des réponses aux victimes, aux médias et à l’opinion publique. Une pression légale s’est aussi exercée sur le gouvernement à l’issue de la deuxième enquête et de la décision du jury d’entériner la thèse de l’ « unlawfull killing » (ce terme signifie qu’une négligence humaine serait la cause de l’accident et de la mort des victimes).

[8] MURPHY (S.D.), “Prospective liability regimes for the transboundry movement of hazardous wastes ”, (1994)

88, American Journal of International Law 24, p.50.

[9] M’GONIGLE (R.M.), et ZACHER (M.), “Pollution, politics and international law: Tankers at sea ”, op.cit.,

pp.322-323.

[10] Bernard DUJARDIN, vice-président de l’Institut Français de la Mer (IFM), a émis une opinion éminente sur la

disparité de l’application des normes de sécurité par les pays pauvres et les pays riches. En effet, d’après lui, « la

loi maritime universelle que les Nations Unies tentent de mettre en place à l’OMI est-elle adaptée à des pays pour lesquels sa mise en œuvre s’apparente à un luxe ? Il ne s’agit certainement pas de mettre en place un dispositif de sécurité à deux vitesses. Au sud comme au nord, la vie est également sacrée. Mais une observation s’impose. Les conventions internationales de sécurité maritime (SOLAS et MARPOL notamment) sont initiées par et conçues pour les États riches des latitudes tempérées froides. Les pays de la ceinture intertropicale les adoptent – pour éviter de paraître en ce domaine en arrière de la main – sans avoir les moyens de les appliquer en acquérant et en entretenant les matériels hautement sophistiqués donc chers, produits par les équipementiers du nord. À l’usage, les critères inadaptés qui visent le mieux conduisent au pire ». Dujardin se demande s’il n’est pas en conséquenceurgent « de réviser certaines normes OMI, certes remarquables sur le papier, mais qui ne répondent aucunement à l’équation financière des pays en développement ? Ne faudrait-il pas maintenir les principes et en adapter les minima et les moyens aux mers chaudes ? ». Cf. DUJARDIN (B.), « La sécurité maritime et tiers-monde : La leçon du Joola », La Revue Maritime, février 2003, n° 464.

56 M’GONIGLE (R.M.), et ZACHER (M.), op.cit., p.551.

[11] Ibidem.

[12] M’GONIGLE (R.M.), et ZACHER (M.), op.cit., p.326.

[13] Nouvelles de l’OMI, Bulletin de l’Organisation Maritime Internationale, n°3, 1995, p.XIV.

Pour réagir à ce post merci de vous connecter ou s'inscrire si vous n'avez pas encore de compte.