Enjeux et perspectives géo-maritimes du Maroc

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La vocation maritime du Maroc pourrait être attestée par trois arguments essentiels : la géographie, la géostratégie et l’histoire.

Au niveau de la géographie, quiconque observe la carte du monde se rend aisément compte de la vocation maritime naturelle du Royaume du Maroc. Au Nord, le pays est baigné par la Méditerranée, avec une façade longue de quelques 500 Km, à l’Ouest, par l’océan Atlantique, avec des côtes qui s’étalent sur pas moins de 3 000 km. Le Maroc est, ainsi, l’un des rares pays au monde disposant de deux façades maritimes. Les deux façades additionnées font du Maroc le pays qui dispose du plus long littoral d’Afrique, juste derrière Madagascar, Etat insulaire. Plus encore, disposant d’une Zone économique exclusive (ZEE) de plus d’un million de Km2, le Maroc fait partie du cercle étroit des pays dont l’espace maritime global est largement supérieur à leur espace terrestre. Le Maroc bénéficie, par ailleurs, d’un accès direct à la haute mer.

Au niveau géostratégique, le Maroc est « l’un des trois gardiens du détroit de Gibraltar », véritable ‘joyau de la couronne’ des attributs maritimes du Royaume. Lieux de passage stratégique du commerce mondial mais aussi goulots d’étranglement « Choke point », les détroits confèrent aux pays les bordant une place jamais insignifiante sur l’échiquier mondial. Plus de cent mille navires traversent chaque année le détroit de Gibraltar, qui relie l’Océan Atlantique à la Méditerranée, avec une ouverture sur l’océan Indien, ce qui le hisse au deuxième rang des passages maritimes les plus empruntés au monde, après celui de la Manche.

Au niveau de l’histoire, force est de remarquer que la présence de l’Empire chérifien dans l’histoire diplomatique internationale tenait en bonne partie à ses attributs maritimes. De plus, la masse continentale des frontières orientales du Maroc a le plus souvent constitué un facteur de suspicion et de blocage et rarement un facteur de confiance et de coopération. L’observation des mouvements stratégiques de l’Empire chérifien montre que ceux-ci se sont presque toujours inscrits dans une dynamique Nord-Sud, et rarement à l’Est. Le Nord permettait de relier le Maroc à l’Europe avec la traversée obligatoire de la mer Méditerranéenne ; le Sud permettait de rejoindre l’Afrique avec la traversée du désert, lui-même considéré dans la conscience collective des Marocains comme une autre forme de la mer : les dunes renvoyaient aux vagues, les dromadaires aux navires.

Aujourd’hui, le Maroc semble de plus en plus prendre conscience de l’importance des données maritimes dans la démultiplication de ses facteurs de puissance et la réalisation des points additionnels de croissance. Cette conscience géo-maritime en émergence a déjà permis la réalisation d’avancées importantes : le port de Tanger Med, situé sur l’autoroute maritime Est/ Ouest, est aujourd’hui le premier port africain des porte- conteneurs et le premier port de transbordement en Méditerranée. En 2017, le pays s’est doté de son premier port entièrement naval situé non loin du détroit de Gibraltar et la gestion des ressources naturelles offshore devient une priorité nationale, comme en témoigne le discours royal adressé à la nation le 7 novembre 2020.

Cette extension vers le large s’opère dans un environnement régional et international marqué par des enjeux maritimes majeurs, et implique pour le Maroc la mobilisation d’un certain nombre de leviers pour mieux réussir son (re) positionnement géopolitique global.

  1. Enjeux géo-maritimes majeurs pour le Maroc

Espace de toutes les convoitises, la mer est devenue un enjeu central des relations internationales. Les Etats sont engagés dans une sorte de course à l’appropriation des espaces maritimes. Le compartimentage des espaces terrestres étant achevé depuis longtemps, tant il n’existe point de territoires sans maître « terra nullius », la seule possibilité, du moins légale, encore à la disposition des Etats pour agrandir leur assise géographique est l’extension de leur espace maritime. Jadis considérées comme des espaces de liberté et de liaison –mare liberum-, les mers sont en passe de devenir, graduellement, sinon des zones de fermeture – mare clausum-, du moins des espaces de séparation tant le phénomène de compartimentage étatique des espaces marins va crescendo. Le monde semble, en effet, glisser inexorablement d’une configuration de la mer en partage à celle du partage de la mer.

Une telle configuration pose avec acuité la problématique de la délimitation des frontières maritimes. Le Maroc est aujourd’hui directement concerné par une telle dynamique. Le pays a des côtes qui se chevauchent avec des côtes de pays adjacents et d’autres qui se font face, et ce en plus de la présence d’îles, ce qui rend la délimitation une opération quelque peu complexe. Il importe, d’ailleurs, de constater que si le Maroc partage des frontières terrestres avec deux Etats seulement, la Mauritanie et l’Algérie, il est fort probable qu’il partagerait -suite à l’extension de sa (ZEE) en raison du prolongement du plateau continental marocain dans la façade atlantique au-delà des 200 milles marins-, des frontières maritimes avec six Etats, à savoir : outre la Mauritanie et l’Algérie, l’Espagne, Gibraltar (Royaume-Uni), le Portugal et le Cabo Verde.

Parallèlement à la délimitation, se pose la question de la sécurisation des espaces maritimes. Cela concerne un large éventail de risques et de menaces. Il en va, entre autres, de la sécurisation des installations portuaires et offshore, de la lutte contre la piraterie,

de la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non- réglementée (INDNR), de la gestion du phénomène de l’immigration et de la protection des câbles sous-marins de télécommunications. La contribution du Maroc dans la sécurité des espaces maritimes est d’autant plus sollicitée qu’il se trouve au confluant de l’autoroute commerciale maritime Est/Ouest, à la façade sud du détroit de Gibraltar et en point de jonction d’immigration entre l’Afrique et l’Europe.

Par ailleurs, si les espaces maritimes sont aujourd’hui convoités c’est aussi parce qu’ils abritent des ressources naturelles importantes. En plus de leur fonction traditionnelle d’espace de connexion entre les différents ports mondiaux, les mers et océans deviennent des espaces de production et d’exploitation. Les mers et océans assurent 30% de la production mondiale du pétrole et 27% de Gaz. Ils regorgent également de minerais rares et de ressources biochimiques essentielles pour les économies du futur. Et à mesure que les ressources naturelles terrestres s’amenuisent et s’épuisent, celles des espaces maritimes se précisent et deviennent de plus en plus accessibles.6 Sorte de nouveau levier de développement, l’économie bleue pourrait apporter au Maroc des parts additionnelles de croissance pour mieux réussir le décollage économique du pays.

Un autre enjeu qui se profile à l’horizon est celui de ‘l’aménagement territorial des espaces maritimes’. Destinés à abriter concomitamment des installations portuaires, des complexes offshore, des éoliennes, des oléoducs, des pipelines, des zones de pêche et d’élevage, des zones touristiques et des câbles sous-marins, en plus du transport maritime, les espaces maritimes du Royaume pourraient souffrir de problèmes de saturation et de cohérence. En effet, la sollicitation intense et diverse des ressources maritimes engendre le risque de chevauchement des activités économiques déployées en mer, d’une part, et la problématique de la sauvegarde de l’environnement marin, d’autre part. Une stratégie de Zonage et de priorisation des activités économiques déployées en mer s’avère essentielle. Le but étant de trouver un équilibre vertueux et optimal entre les exigences de développement économique et l’impératif de la préservation du milieu marin.

  1. Leviers maritimes à mobiliser pour mieux réussir le (re) positionnement géopolitique global du Maroc

Immensité et impermanence, deux caractéristiques principales qui différencient le milieu marin des espaces terrestres. Elles nous renseignent, surtout, combien est-il ardu de déployer en mer une stratégie globale et durable. Tout Etat pourrait aspirer à devenir une puissance terrestre. Toutefois, seuls quelques-uns pourraient nourrir l’espoir de maîtriser la chose maritime. De la même manière que si pour certains Etats la chose maritime est un élément de luxe, pour d’autres, il s’agit d’une question de survie.

Toujours est-il qu’une volonté seule ne fait jamais une stratégie. En plus d’attributs maritimes naturels, l’aventure maritime requiert des investissements conséquents et la mobilisation de leviers importants.

Dans le cas précis du Maroc, quatre leviers nous paraissent particulièrement nécessaires, à savoir : la reconnaissance, la connaissance, la présence et les alliances.

La reconnaissance : un pays qui n’a pas conscience de sa vocation maritime ne peut que tourner le dos à la mer. Dans son ouvrage « The Influence of Sea Power Upon History », Alfred Thayer Mahan avait inventé le concept de la puissance maritime ‘the sea power’, et précisé les six éléments qui concourent à sa réalisation, à savoir :

  • une position géographique avantageuse ;
  • des côtes praticables, des ressources naturelles

abondantes et un climat favorable ;

  • l’étendue du territoire ;
  • une population assez large pour défendre son

territoire ;

  • une société avec une aptitude pour la mer et l’entreprise commerciale ;
  • et un gouvernement orienté vers la maîtrise de la mer.

Force est de relever que si les quatre premiers éléments sont la résultante de données purement naturelles, les deux derniers sont l’œuvre de l’Homme, tout particulièrement, du politique. C’est la raison pour laquelle la reconnaissance de la vocation maritime du pays et la volonté d’en faire une puissance maritime demeurent déterminantes.

La connaissance : la maîtrise de la chose maritime implique des aptitudes et des compétences singulières. La célèbre expression de John Bodin « il n’y a richesse ni force que d’Hommes », trouve une intensité particulière dans le domaine marin. Cela va des habilités de navigation des marins, de juristes nationaux rompus au droit de la mer, des scientifiques et chercheurs au diapason des innovations qui touchent le domaine marin, aux ingénieurs dotés de la capacité d’exploration et d’exploitation des ressources offshore.

La présence : il ne suffit pas de posséder un espace maritime, mais il faut encore pouvoir y exercer tous les éléments de la souveraineté. Or, la souveraineté maritime implique bien plus de moyens que ceux déployés dans les terres. Ceci est plus particulièrement vrai pour des Etats disposant de longues côtes et de (ZEE) étendue comme c’est le cas du Maroc. Le parachèvement, en mars 2020, de l’arsenal juridique national relatif à la délimitation et à la règlementation de l’intégralité des espaces maritimes marocains constitue, à cet égard, un préalable nécessaire.9 Le contexte actuel marqué par des stratégies maritimes régionales et globales conflictuelles, rend la possession des moyens nécessaires à l’exercice effectif de la souveraineté nationale sur l’intégralité de l’espace maritime du Royaume une question essentielle.

Les alliances : étant par essence discontinue, la mer s’apprête beaucoup plus à la coopération internationale et régionale. Dans ce sens, le Maroc gagnerait plus à faire correspondre davantage sa vocation maritime avec ses vocations africaine, méditerranéenne et Atlantique. La participation du Maroc à l’opération Active Endeavour par le passé, dans (l’Initiative 5+5) pour la lutte contre la pollution accidentelle mise en place sur proposition du Maroc et son appartenance à la Stratégie Africaine Intégrée pour les Mers et les Océans en sont des voies à fructifier plus amplement. La mer pourrait devenir le trait d’union essentiel et la plateforme idoine d’une coopération amplifiée entre le Maroc et ses environnements régional et international. C’est dans ce sens qu’il importe de comprendre le discours royal du 07 novembre 2021, dans lequel le Souverain précise que « Partant de cette vision, la façade atlantique Sud du Royaume, située face au Sahara marocain, constituera une interface maritime d’intégration économique et un foyer de rayonnement continental et international ».

En guise de conclusion, il est à souhaiter que cette conscience géo-maritime en émergence au Maroc prenne la forme d’une stratégie maritime globale et ambitieuse. Laquelle stratégie pourrait s’articuler autour des six éléments que nous avons développés dans un article publié en 2016 sous le titre de « Géopolitique maritime du Maroc », à savoir :

  1. la valorisation du capital humain dédié aux affaires maritimes ;
  2. la maritimisation de l’économie nationale et le développement de l’économie bleue ;
  3. la valorisation de la façade atlantique à travers un maillage portuaire et des plateformes d’exploration et d’exploitation des ressources maritimes. Les ports de Dakhla et de Kenitra, en projet, pourraient constituer, à cet égard, les pendants du port Tanger- Med pour un meilleur positionnement stratégique dans le maillage portuaire du commerce mondial en pleine recomposition ;
  4. la reconstruction de la flotte de la marine marchande nationale, condition sine qua non pour retrouver une souveraineté sur le parc du transport maritime des personnes et de marchandises ;
  5. le renforcement des capacités de la Marine royale, notamment dans une optique d’équilibre de forces navales au niveau régional ;
  6. et, enfin, la création d’un ministère de la mer.

Aujourd’hui plus que jamais, nous restons convaincu de la pertinence de la mise en place d’une structure intégrée et unifiée pour s’occuper de l’ensemble des aspects qui touchent à la chose maritime. L’idée d’un ministère de la mer n’est d’ailleurs pas sans précédent dans la pratique du Royaume. L’histoire nous apprend que les sultans de l’Empire chérifien avaient créé un ministère de la mer, et ce bien avant celui du ministère des Affaires étrangères. Cela pourrait surtout cadrer avec sa trajectoire géopolitique, celle d’un Etat quasi-insulaire.

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