TRANSPORT EN PONTÉE : NOTION, RISQUES ET REGIME JURIDIQUE

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Face à la pénurie des conteneurs, à l'absence de place à bord des navires malgré leur gigantisme, et suite à la flambée sans précédent des taux de fret, les chargeurs cherchent désespérément des solutions alternatives à ce grave problème qui menace non seulement leur activité, mais aussi toute la supply chain et le commerce international dans son ensemble.

Comme le rapporte Maritime News dans une récente édition [1] "Coca-Cola a trouvé une solution radicale pour faire face à cette situation : plutôt que des porte-conteneurs classiques, la firme va désormais expédier ses marchandises à bord de vraquiers. À l'origine, ces navires sont conçus pour transporter en vrac du charbon ou du minerai de fer, rapporte Bloomberg."

“La compagnie a déjà affrété trois vraquiers d'une capacité totale de 60.000 tonnes, soit l'équivalent de 2.800 conteneurs. Selon Alan Smith, le directeur des achats de Coca-Cola : « Avec la pénurie de conteneurs et d'espace, nous devons trouver des idées hors des sentiers battus. Cette solution permettra de maintenir en activité toutes nos lignes de production à travers le monde. »

Cette alternative séduisante, consistant à transporter des conteneurs à bord de vraquiers en cale et notamment sur le pont, pose bien des problèmes en ce que ces navires ne sont pas spécialisés dans ce genre de transport et ne sont pas spécialement équipés à cet effet, et en ce que le transport en pontée obéit à un régime juridique particulier,

En plus des soucis de stabilité, des difficultés de manutention, cet arrimage des conteneurs en pontée, aggrave la condition des assureurs Corps, Facultés et P&I, en raison des risques supplémentaires qu’il engendre pour le navire et la cargaison, l'environnement et l’équipage.

En effet, Il existe des marchandises qui courent des risques plus grands que d’autres, de pertes ou d'avaries en raison de leur nature propre ou de l'emplacement qui leur est réservé sur le navire.

On constate alors, que le droit positif dans son évolution, leur consacre une place assez marginale dans l'ensemble, mais néanmoins nuancée. 

La convention de Bruxelles de 1924 sur les connaissements les exclut purement et simplement de son régime impératif, les Règles de Hambourg de 1978 ne les excluent pas, mais elles édictent à leur égard un régime spécial de responsabilité.

I - Le transport en pontée :  contenu d'une notion

C'est un genre de transport considéré comme inhabituel, dont le recours est seul justifié par des circonstances particulièrement exceptionnelles, tenant à la nature de la marchandise transportée.

Aussi, ce transport est-il considéré avec beaucoup de restrictions au vu des risques supplémentaires qu'il engendre aussi bien pour le navire que pour la marchandise.

A/ Les risques supplémentaires pour le navire : on en avance généralement deux sortes (1) :

  L'accroissement du poids dans les hauts du navire compromet le redressement de celui-ci et par conséquent sa stabilité.

 D'autre part, ce transport engendre le risque d'encombrement du pont, et par conséquent empêche la libre circulation sur celui-ci.

On constate le caractère traditionnel de tels griefs. En effet ces risques étaient parfaitement justifiés du temps de la navigation à   voile. Aussi ne peut-on pas être étonné de voir l'ordonnance de Colbert du 16/8/1681 l'interdire en ces termes : “ faisons défense au maître et patrons de charger sur le pont "·

Mais les progrès réalisés dans le domaine de la construction navale (navires de grande taille et de gros tonnage, les navires porte barges et porte-conteneurs) et celui de la manutention atténuent sensiblement ces craintes.

B- Les risques supportés par la marchandise : Elle risque de tomber à la mer et de se perdre en cas de mauvais temps. Elle risque par ailleurs d'être avariée à tout moment, étant chargée sur le pont et exposée aux intempéries.

Ce transport est aussi restreint en raison de la nature particulière des marchandises qui en sont l'objet.

- Les marchandises dangereuses, de nature inflammables ou explosives sont chargées sur le pont pour en faciliter le jet ou la destruction en cas de nécessité (art. 4§6 de la convention de Bruxelles ; (art 13, des Règles de Hambourg.) 

- Les marchandises exceptionnelles de par leur taille qui ne peuvent être transportées en cale, ne peuvent évidemment être transportées que sur le pont.

- Enfin les marchandises transportées par tradition en pontée, c'est le cas des animaux vivants, des cargaisons de bois ...etc.

II          LE TRANSPORT EN PONTEE : REGIME JURIDIQUE : 

1 - sous l'empire de la convention de Bruxelles de 1924 :

Celle-ci se déclare inapplicable au transport en pontée. Cette exclusion est expressément contenue dans son article 1er consacré aux définitions ; (art 1-C) qui dispose que le terme “marchandises “   comprend les objets, marchandises et articles de nature quelconque, à   l'exception des animaux vivants et de la cargaison qui, par le contrat de transport est déclarée comme mise sur le pont, et en fait, est ainsi transportée.

Il en résulte que pour que la convention de Bruxelles ne s'applique pas et par conséquent, pour que les clauses d'irresponsabilité - prohibées par cette convention- soient licites, deux conditions doivent être réunies cumulativement :

- Il faut que le transport soit déclaré dans le connaissement

- Comme ayant lieu sur le pont.

- et en outre, que le transport ait lieu effectivement sur le pont.

 Le protocole de Bruxelles du 23/2/1968 portant modification de la convention de Bruxelles ne traite pas de la question. Le lendemain de son entrée en vigueur (Juin 1977), la toute récente convention des Nations Unies consacre au problème une règle spéciale contenue dans son article 9. 

2- Sous l'empire des Règles de Hambourg de 1978.

Dans les quatre paragraphes de l'art. 9 qui régissent le transport en pontée, aucune définition n'est faite de ce transport.

On y trouve par contre deux types de transport, précédés d'un principe fort restrictif.

Le principe est énoncé au §1 de l'art 9 qui interdit en règle générale un transport en pontée. Exception à cette défense est faite, cependant dans trois cas :

- en présence du consentement du chargeur, où

- en présence d'usages de commerce qui le permettent, où

- en présence d'une réglementation en vigueur qui l'exige.

L'incontestable mérite des Règles de Hambourg est de se déclarer applicable à la pontée. En limitant les cas de licéité du transport en pontée, la convention a concilié et la nécessité pratique d'une réglementation qui faisait défaut, et la sécurité de la marchandise.

Sur le plan pratique, en effet, l'exclusion de ce transport était préjudiciable à la vente des marchandises car les banques refusaient   généralement d'accepter des connaissements indiquant un tel transport (1). Les assureurs, de leur part, refusaient de couvrir les cargaisons en pontée, sinon en exigeant une prime plus élevée.  

Sur le plan juridique , cette disposition nouvelle des Règles de Hambourg fait échec aux clauses d'irresponsabilité dites ”aux risques du destinataire” rédigées ainsi : ”  les marchandises transportées sur le pont et déclarées dans le connaissement être ainsi transportées , sont chargées , maniées, arrimées , transportées , gardées , surveillées et déchargées aux risques de l'expéditeur ou du consignataire , et le transporteur ne sera pas responsable des dommages ou pertes résultant de sa faute ou de celle de ses préposés "·

Cela dit, ce texte distingue deux types de transports : 

1- Le transport en pontée régulier : il s'agit d'un transport en pontée, conforme aux usages du commerce considéré, à la réglementation en vigueur qui l'exige, ou qui a obtenu le consentement du chargeur

En cas d’accord du chargeur, le §2 de l'art. 9 des Règles de Hambourg, exige qu'une mention écrite d'un tel consentement soit portée au connaissement ou tout document similaire. 

La règle est de nature probatoire. En l'absence d'une telle mention, le transporteur aura la charge de prouver un tel accord mais seulement dans ses rapports avec le chargeur, car une telle preuve ne saurait être opposable à un tiers de bonne foi, y compris le destinataire qui détient un connaissement, ainsi, net de réserves.

2- Le transport en pontée irrégulier : c'est le cas d'un transport non conforme aux usages de commerce, effectué en infraction de la réglementation en vigueur qui l’interdit, en l'absence du consentement du chargeur, ou en l’absence d’une mention expresse au connaissement, si cet accord a eu lieu.

 

Deux règles distinctes sanctionnent le transport en pontée irrégulier, selon qu'il a eu lieu ou non, avec l’intention de causer le dommage ou la conscience de la probabilité de sa survenance.

Dans le premier cas : le transporteur est déchu de son droit à la limitation de responsabilité, conformément à l'art   8 des Règles de Hambourg.

Sa responsabilité est engagée pour l'intégralité du préjudice causé au destinataire. Le dernier § de cet art.9 donne un exemple d'une telle faute : c'est le cas d'un transport en pontée ayant eu lieu au mépris d'un accord exprès, stipulant le transport en cale ; (art 9-4).

Dans le second cas : le transporteur n'est pas déchu du droit à la limitation de responsabilité, mais toute possibilité lui est soustraite - quand le dommage résulte des risques inhérents au transport en pontée - de faire la preuve que lui-même et ses préposés ont pris toutes les mesures raisonnablement exigées pour éviter l'évènement ou en atténuer les conséquences (art 9-3.)

Très paradoxalement, l'art.9 est muet pour ce qui concerne

La responsabilité du transporteur en cas de transport en pontée régulier.

Le doyen Rondière   pense que dans ce cas ”   il faut appliquer la règle que le transporteur n'est pas responsable des dommages qui tiennent précisément à ce que le chargement s’est fait en pontée."

C'est effectivement la solution que semblent entériner les Règles de Hambourg. 

La sanction du transport en pontée irrégulier visé au paragraphe 3 de l'art. 9 des Règles de Hambourg doit être opposée au paragraphe 2 de ce même article qui traite - sans le définir - du transport en pontée régulier.

La sanction dans le cas d'irrégularité simple - entendons par là, celle non accompagnée d'une faute inexcusable, ou dolosive - est que le transporteur est irrecevable à faire la preuve que lui-même ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures raisonnablement exigées pour éviter l'événement et ses conséquences.

Autrement dit, il est responsable de façon irréfragable de ces dommages.

A contrario, en cas de pontée régulière, le transporteur n’est pas responsable des dommages tenant à ces risques particuliers inhérents justement à ce genre de chargement en pontée.

Cette disposition logique est très positive. Elle est comme le souligne Claire LEGENDRE (1) à juste titre, porteuse d'un progrès certain.

En effet, longtemps considéré comme exception, longtemps marginalisé, le transport en pontée se trouve désormais, même si dans un cadre restreint apparemment, doté au fond d'une situation sinon de choix, au moins à part entière en droit maritime.

Cela est dû à la nécessité pour la règle de droit de suivre et de consacrer des solutions aux problèmes que fait naître l'évolution technique. On ne peut que se féliciter du fait que les Règles de Hambourg ont consacré distinctement l’art. 9 aux problèmes des conteneurs pour l’essentiel, sans s'éloigner du régime général de responsabilité qu'elle institue par ailleurs.

En conclusion, les Règles de Hambourg réglementent bien le transport des conteneurs en pontée. C’est là un progrès notoire que cette convention ajoute à son actif, même si l'on peut penser que le problème juridique des conteneurs est un faux problème (2).

L'alternative initiée par Coca Cola quant à elle est intéressante, mais elle, doit être considérée avec prudence. Il ne faut pas perdre de vue qu’elle introduit, au moins un changement de destination du navire, sinon un changement de structure  et expose  ainsi à des risques de dommages l’environnement ,les biens (navire aux marchandises) ,et les  personnes ,aggravant ainsi que les risques à la charge des assureurs Facultés, corps et P&I.

C'est pourquoi ces assureurs  doivent y etre associés et doivent  en être informés au préalable pour éviter toute surprise en cas de sinistre.

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Mohamed Laazizi

Docteur en Droit Maritime et Aérien

Consultant Expert en Assurance Transport

Fondateur du cabinet INSTRASOL

[1] Maritime News  édition du 12 Octobre 2021

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