L’Association Nationale des Administrateurs de l’Administration Maritime a organisé le 5 mai 2010 à l’IAV Hassan II, une conférence-débat sur le thème : « Les barrières non tarifaires au commerce des produits de la pêche, entraves ou règles de bonne gouvernance ? ».
Cette Conférence a été animée par Monsieur Mohamed Naji, Enseignant chercheur au sein du même établissement et spécialiste de la question. La Conférence a été enrichie par le point de vue de Monsieur Mohamed TAOUFIQ, Chef de Division à la Direction des Industries de la pêche (Département de la Pêche Maritime) qui a longtemps été un acteur des négociations ??????? et par le riche témoignage de Monsieur Kamal BENNOUNA, Président de l’Association Marocaine de la Pêche à la Crevette.
Dans son intervention, Monsieur NAJI a tout d’abord rappelé les tendances du marché en soulignant que le poisson et ses produits dérivés constituaient l’une des matières premières les plus échangées dans le monde. En effet près de 40% de la production des pêcheries mondiales, aussi bien l’aquaculture que la capture, est écoulée sur le marché international, soit 53 millions de tonnes pour une valeur de 102 milliards de dollars en 2008. Les exportations des PVD (Chine en tête) représentent 50% du volume total exporté. Dans ce volume, les importations des pays développés représentent 80 % des échanges totaux, sachant que l’Union Européenne représente le plus grand marché mondial de la pêche avec 43,5% des importations totales des produits de la pêche en provenance de fournisseurs non UE en 2007, représentant 20,75 milliards de $ US . L’UE constitue à ce titre, le marché le plus lucratif pour les exportations marocaines.
L’intervenant a ensuite présenté les régimes de droits de douanes élevés de l’Union Européenne appliqués notamment aux produits transformés qui concurrencent la production européenne.
Toutefois, a souligné l’intervenant, le commerce des produits de la pêche a connu une baisse importante des barrières tarifaires avec l’avènement de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En effet, les nouvelles règles du commerce ont permis une réduction considérable des entraves traditionnelles aux échanges, comme les barrières tarifaires et les restrictions quantitatives. En moyenne, les droits de douane appliqués aux poissons ont baissé de 4,5% pour les pays développés et de 20% pour les pays en développement.
Dans ce contexte et selon l’Accord d’association avec le Maroc, tout le poisson et autres produits de la pêche ont accès au marché de l’UE en franchise de droits, hormis quelques exceptions concernant les préparations ou conserves de sardines.
Cette ouverture porteuse d’espoirs pour les pays exportateurs et notamment pour les PVD, est aujourd’hui freinée par des barrières non tarifaires.
On les retrouve au sein même de l’OMC. D’abord dans l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ou mesures SPS qui visent à garantir au consommateur des produits alimentaires sains, sur la base de normes et réglementations ne devant pas entraîner de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays. L’accord permet aux pays d’établir leurs propres normes mais il dispose aussi que les réglementations doivent avoir un fondement scientifique et ne doivent pas non plus
Ensuite dans l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) dont la nécessité peut s’expliquer par le souci de la protection de l'environnement, l’information du consommateur, la protection contre les risques et la sécurité nationale.
Mais quelle garantie pour que l’ensemble de ces mesures ne deviennent pas un bon argument technique pour devenir des obstacles au commerce du poisson ?
En réponse l’OMC a prévu dans le dispositif précité, de nombreuses dispositions qui prévoient pour les PVD et les pays les moins avancés des souplesses leur permettant de bénéficier de droits spéciaux ou d’une indulgence supplémentaire — le “traitement spécial et différencié”. Le principe de la non‐réciprocité dans les négociations commerciales entre pays développés et pays en développement a été également introduit.
La pêche est actuellement traitée par l'OMC au niveau :
- De l'accès au marché des produits non agricoles (AMNA). Les produits de la pêche ne font pas partie des accords sur l’agriculture à l’OMC, mais sont considérés comme des produits non agricoles (réduction et élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, s'agissant notamment des produits essentiels pour les pays en développement). Les conséquences sur le marché des produits halieutiques, jusqu’alors relativement protégé, notamment en ce qui concerne la crevette, le thon et les sardines, seraient assez substantielles.
- Des subventions octroyées à la pêche
C’est une question traitée par l’accord sur les subventions et mesures compensatoires (SCM) de l’OMC qui n’applique aucune disposition spécifique aux subventions octroyées à la pêche. Mais rien ne garantit que cette situation puisse perdurer. Actuellement la question des subventions à la pêche font l’objet de vives discussions notamment celles visant l’interdiction des crédits octroyés pour les frais d’exploitation ou les subventions qui entraînent directement des surcapacités de pêche.
- Du commerce et environnement
L’objectif des accords environnementaux multilatéraux (AEM), sous l’égide de l’OMC, telle que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), visent à favoriser les produits halieutiques qui respectent les objectifs en matière de conservation et de gestion durable. Ainsi certaines dispositions commerciales sont appliquées pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.(
Le commerce international des produits de la pêche a également été affecté par deux autres domaines de compétence de l’OMC, à savoir les mesures antidumping et l’Accord Général sur le Commerce des Services (GATS). Ce sont probablement les pays en développement qui seront les plus affectés par ces mesures.
Sur le terrain que se passe t-il ?
C’est au niveau du marché de l’Union Européenne qui est le principal débouché des produits halieutiques marocains, que les barrières non tarifaires sont le plus apparentes et gagnent en importance. Comme les grandes économies développées et importatrices, l’UE a mis en place toute une série de normes et de réglementations strictes pour des raisons sanitaires ou écologiques qui constituent un grand défi pour les industries exportatrices (par exemple la protection des espèces menacées).
Ainsi les mesures sanitaires et phytosanitaires (MSP) sont un sous‐ensemble de réglementations visant spécifiquement à protéger la santé humaine, végétale et animale contre les risques découlant de l’introduction de parasites, maladies, organismes porteurs de maladies, additifs, contaminants, toxines, organismes pathogènes présents dans les produits alimentaires ou maladies véhiculées par des animaux ou par des plantes.
On retiendra comme exemple de ces mesures: La traçabilité.
L’article 18 du règlement CE) n° 178/2002 fait obligation aux exploitants du secteur alimentaire de mettre sur pied des systèmes de traçabilité, permettant de remonter à la personne qui leur a fourni des denrées alimentaires ou des ingrédients, ou à celle à laquelle sont vendus les produits. Elles insistent sur l’étiquetage de ces mêmes produits. L’objectif est de pouvoir établir la traçabilité des produits en cas de problème de sécurité alimentaire.
Les barrières non tarifaires peuvent aussi prendre la forme de règlements techniques, de normes de qualité et de composition, d’étiquetage et d’exigences en matière d’informations sur les sources et l’origine. Elles prennent également la forme de documents qui énoncent les caractéristiques d’un produit ou les procédés et méthodes de production s’y rapportant, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont le respect est obligatoire. Ils peuvent aussi traiter en partie ou en totalité de terminologie, de symboles, de prescriptions en matière d’emballage, de marquage ou d’étiquetage, pour un produit, un procédé ou une méthode de production donnés».
A titre d’exemple on citera les règles d’origines qui sont les critères utilisés pour définir le lieu de fabrication d’un produit. L’accord de l’OMC sur les règles d’origine demande aux membres de veiller à ce que leurs règles d’origine soient transparentes, à ce qu’elles n’aient pas d’effet de restriction, de distorsion ou de désorganisation du commerce international, à ce qu’elles soient administrées d’une manière cohérente, uniforme, impartiale et raisonnable et à ce qu’elles se fondent sur des critères positifs.
Concernant les produits de la pêche, ils sont généralement considérés comme originaires du pays où les navires sont enregistrés et duquel ils battent pavillon. En cas de transformation ultérieure, dans des conditions spécifiques, le produit peut être réputé originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important.
Une autre barrière non tarifaire : Le système de certification des captures pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).
Ce système adopté par l’Union Européenne en juillet 2008 et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2010, introduit un mécanisme de certification de l’origine légale des captures, ce qui suppose des observations en mer, des systèmes de suivi, de contrôle et de surveillance appropriés dans les pays où les captures sont effectuées. Ce système qui confie une tâche supplémentaire aux autorités, aux producteurs et aux exportateurs, peut devenir un obstacle aux importations légales de poisson.
Quels Impacts sur les pays qui exportent vers l’UE ?
Les normes élevées de sécurité alimentaires ont un effet néfaste sur le commerce des produits de la pêche à petite échelle en terme :
- d’investissements nécessaires pour respecter les exigences en matière de sécurité alimentaire qui impliquent des coûts fixes ;
- d’organisation pour centraliser les compétences en la matière en une seule autorité nationale ;
- d’harmonisation des législations nationales relatives aux normes sanitaires avec celles de l’UE ;
- de mise en place d’un système de laboratoires de contrôle strict et d’assurance qualité à toutes les étapes de la chaîne de production, conformément aux principes HACCP.
Dans un tel dispositif drastique, ce sont les pays les moins avancés qui seront les plus susceptibles d’être désavantagés; les pays plus avancés sont plus aptes globalement à respecter les exigences des pays industriels en matière de sécurité alimentaire.
Mais, fait remarquer le conférencier, un tel mécanisme possède néanmoins ceratins aspects positifs, car l’application des normes exigées, est à même d’encourager la modernisation de la chaîne d’exportation, qui peut ensuite diminuer les coûts de production et augmenter la compétitivité. Les exportateurs auraient la possibilité de se repositionner sur les marchés actuels et d’accéder à de nouveaux marchés. L’industrie de transformation est poussée à se moderniser, ce qui entrainerait une diminution des maladies alimentaires et un renforcement des normes d’hygiène globales.
L’intervenant a mis l’accent ensuite sur les critiques faites au système. En effet s’il est communément accepté que ces exigences sont légitimes dans l’intérêt de la protection des consommateurs et qu’elles sont une condition préalable à l’accès au marché communautaire, certains éléments de la législation européenne et/ou de sa mise en œuvre sont critiqués. Ainsi, par exemple l’utilisation du principe de précaution est arbitraire dans de nombreux cas. Les pays tiers affirment que les restrictions des importations au motif de problèmes de santé animale ne sont pas toujours fondées sur des preuves scientifiques. Ils affirment aussi que les mesures ne correspondent pas toujours au risque supposé. Aussi l’absence de méthodologie établie pour déterminer le principe d’équivalence de leurs normes pose des problèmes aux pays en développement. Ces derniers estiment que l’UE requiert «l’identité» plutôt que l’équivalence.
En conclusion, le conférencier a souligné que les pays en développement producteur/exportateurs de poisson n’avaient pas d’autre choix que de développer des solutions globales et renforcer la compétitivité de leur tissu productif, en améliorant les infrastructures de débarquement, de transport et de transformation, ainsi que la capacité des secteurs de transformation/exportation de poisson et ce afin de satisfaire aux normes sanitaires et de traçabilité en vigueur au niveau international.
L’amélioration de la compétitivité au travers de la promotion des investissements européens ne doit pas, pour sa part, se faire aux dépens des entreprises locales, des normes de travail, de la qualité de vie et de l’environnement local.
Par ailleurs, le conférencier a souligné la nécessité d’adhérer à un lobbying régional pour une meilleure prise en charge des spécificités régionales.
Dans son intervention, Monsieur Mohamed TAOUFIQ, a traité de la problématique des règles d'origine qui régissent les échanges commerciaux des produits de la pêche entre le Maroc et l'Union Européenne.
Depuis 1976 et surtout à partir de 2000, le Maroc est lié à l’Union Européenne par des Accords non réciproques (Accord de Coopération et Accord d’association) lui permettant d’exporter ses produits de la pêche vers l’UE, en franchise de droits d’importation, à condition que les règles d’origine et les exigences de sécurité des denrées alimentaires soient respectées.
Ces règles sont régies par le critère de l’entière obtention au Maroc des matières premières et des produits finis.
Avec ces règles, le Maroc ne peut exporter à destination des pays de l’UE en accès libre, que des produits de la pêche (frais ou transformés) originaires, c’est à dire soit pêchés à l’intérieur des eaux territoriales, soit par des navires marocains opérant en dehors de ces mêmes eaux ou bien fabriqués à partir de poissons entièrement obtenus au Maroc.
Ces dispositions sont un frein à ce qui est accordé par l’UE au Maroc dans le cadre des Accords précités, du moment où elles constituent une contrainte majeure au développement de la valorisation au Maroc à un moment où celui-ci tend devenir une plate forme de valorisation des produits de la pêche.
Enfin Monsieur Kamal BENNOUNA a donné le point de vue de la profession en mettant l’accent sur les capacités de l’Administration à négocier de telles normes face au géant « Union Européenne ». Il a estimé que l’Administration ne défend pas assez la spécificité marocaine et n’exige pas assez de souplesse dans l’application des mesures exigées parfois à tord par l’Union Européenne. Il affirme que la profession a le sentiment que l’Administration applique plus que ce qui lui est demandé. Il a illustré ses propos par le système de certification adopté dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de lutte contre la pêche INN qui a donné lieu à une multitude de documents ingérables aussi bien par les services de l’Administration que par les professionnels. Il s’est demandé quelle en était la finalité du moment où ces documents pouvaient être simplifiés pour se limiter à un strict minimum.
Monsieur BENNOUNA a ensuite souligné que la Département de la pêche maritime gagnerait à redevenir un Ministère à part entière afin que notre pays puisse afficher en interne comme e, externe, l’importance stratégique qu’il porte ay secteur de la pêche maritime dans son processus de développement socio-économique.
Les débats ont portés par la suite sur le rôle joué par l’administration dans le processus de négociations avec l’Union Européenne ce qui a montré que ce genre de dossier traité à l'international, souffrait de l’absence d’une cohésion entre les pays du Maghreb, de la méditerranée ou de la région ouest-africaine. Le constat est qu’il y a absence de concertation et de négociations en rang unifié, laissant la voie libre à l’UE d’adopter ses règlements et de les faire accepter par les Etats séparément. Ainsi apparait la nécessité d’œuvrer pour unifier les rangs et d’agir dans le cadre d’un vrai lobbying régional.
Il est apparu également la nécessité d’associer les professionnels aux négociations, du moins pour éclairer et appuyer le négociateur marocain.
Les débats ont montré que certaines barrières non tarifaires avaient permis aux entreprises marocaines de se moderniser et de se mettre à niveau, avec plus de transparence en termes de déclaration des captures, d’hygiène et de règles sanitaires.
Aussi, a-t-il été souligné que le consommateur marocain devait également être protégé sur le plan sanitaire et d’hygiène des produits halieutiques.
Mais le processus des barrières non tarifaires ne cessera certainement pas d’évoluer dans les années à venir. Plus de contraintes attendent le secteur halieutique national, notamment celles qui sont liées aux subventions accordées au secteur de la pêche. L’importance de cette question et ses enjeux futurs mérite, selon les participants à la conférence de faire l’objet d’une journée d’études qui permettra de nous éclairer sur ce qui nous attend sous ce chapitre.
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